La transition énergétique fait l’objet de nombreuses questions techniques, économiques, éthiques et politiques. En ce moment, la sécurité d’approvisionnement retient toute l’attention. S’il existe bon nombre d’incertitudes dans le contexte actuel – et certainement pas de solutions miracles -, les acteurs du secteur anticipent via de multiples scénarios. Pour en débattre, nous avons réuni à TheMerode 6 experts de haut rang autour de Mathieu Bihet, ministre fédéral de l’Énergie.
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Frédéric Dunon CEO CHEZ ELIA TRANSMISSION BELGIUM

Kevin Antoine PARTNER CHEZ BOSTON CONSULTING GROUP BELGIUM

Michaël Deneve MANAGING DIRECTOR CHEZ DENERCON

Mathieu Bihet MINISTRE FÉDÉRAL DE L’ÉNERGIE

Leen Vanhamme SVP STRATEGY & SUSTAINABILITY CHEZ FLUXYS

Olivier Bomboir PRODUCT MANAGEMENT CHEZ CE+T POWER

Thomas Zeebergh HEAD OF GRID SOFTWARE CHEZ SIEMENS
Comment peut-on garantir aujourd’hui la flexibilité et la performance de notre réseau ?
Frédéric Dunon : « Le réseau est le cœur des activités d’Elia. La consommation électrique belge devrait doubler d’ici à 2050. Aujourd’hui, les nouveaux projets réservés sur notre réseau représentent 46 TWh, soit la moitié de la consommation annuelle belge. Nous observons un ralentissement des grands projets industriels mais une accélération chez les PME. Cette accélération est aussi très visible pour les batteries et les data centers, dont la croissance est spectaculaire. Il est crucial de développer des projets viables et de gérer efficacement les files d’attente, qui contiennent des demandes parfois trop incertaines. Pour la production, de nouvelles unités sont en cours : deux centrales à gaz, des batteries, du renouvelable, la prolongation de réacteurs nucléaires. Face aux besoins croissants, notre étude ADFLEX confirme la nécessité du mécanisme de rémunération de capacité (CRM) pour la sécurité d’approvisionnement. La question est de savoir si le CRM seul suffit ou s’il faut diversifier davantage le mix énergétique – offshore, nucléaire, etc. – pour réduire notre dépendance aux importations. Le plan de développement d’Elia, validé en 2027, sera établi en fonction du mix énergétique belge défini jusqu’en 2040, un choix politique majeur. »
Leen Vanhamme : « Grâce à sa position stratégique en Europe du Nord-Ouest et à ses multiples connexions avec les réseaux adjacents, dont les terminaux GNL de Zeebrugge et Dunkerque, la Belgique s’affirme comme un hub de transit majeur. La crise ukrainienne a mis en lumière la flexibilité et la performance de notre réseau. Depuis 2022, les flux de gaz provenant précédemment de l’est ont été remplacés par des flux plus importants en provenance de l’ouest de l’Europe. Et aujourd’hui, près de 60 % du gaz reçu est réexporté vers l’Allemagne et les Pays-Bas. Grâce aux volumes importants transportés, Fluxys peut proposer au marché belge des tarifs de transport de 3 à 7 fois plus bas que ceux pratiqués par ses voisins. Dans la perspective des nouvelles molécules comme l’hydrogène ou le CO2, l’objectif est d’acheminer un maximum de volumes vers la Belgique afin de pouvoir offrir des tarifs compétitifs. C’est dans cette optique que nous avons établi des partenariats avec des pays comme l’Allemagne et les Pays-Bas. »
Le triptyque sécurité, durabilité et accessibilité financière doit être priorisé, avec la sécurité en clé de voûte.
Mathieu Bihet
Thomas Zeebergh : « Le secteur électrique est passé d’un système stable à une gestion complexe due à l’intégration d’énergies renouvelables décentralisées et moins prévisibles. La consommation doit désormais s’adapter à la production, entraînant une électrification accrue de l’économie – 45 TWh de projets – et une complexité opérationnelle exponentielle pour les TSO et DSO. Il faut rapidement augmenter la capacité du réseau et la capacité de gestion. À long terme, des investissements sont nécessaires – nouvelles unités, renforcement des lignes -, mais avec des délais incompressibles. À court terme, la technologie de Siemens peut optimiser l’utilisation des réseaux en les rapprochant de leurs limites. Cela passe par la numérisation : mesurer – compteurs communicants -, modéliser – jumeaux numériques pour simuler des scénarios – et mettre en place des algorithmes et logiciels pour accompagner la gestion opérationnelle. Ces solutions logicielles peuvent être implémentées rapidement et facilitent la prise de décision, comme un pilote automatique. Il est vital de mobiliser les acteurs pour accélérer ces transformations. »
Michaël Deneve : « En tant que bureau de conseil en énergie, nous vivons au quotidien les problématiques de nos clients en industrie. Ceux-ci exigent une énergie stable et accessible à tout moment, mais sont confrontés à des prix négatifs et à des congestions dues aux surproductions renouvelables. Cela crée des opportunités, mais aussi des risques pour la disponibilité de l’énergie. Une priorité est de disposer d’un cadre régulatoire stable et adapté à l’industrie. Prenons l’exemple des hubs énergétiques locaux, c’est-à-dire des entreprises situées sur un même site ou dans une même zone industrielle ; ils devraient pouvoir mutualiser les infrastructures, le stockage et la chaleur résiduelle. Or, aujourd’hui, de nombreux obstacles réglementaires empêchent cela. »
La consommation électrique belge devrait doubler d’ici à 2050 : l’anticipation est donc cruciale.
Frédéric Dunon
Olivier Bomboir : « La flexibilité du réseau est en effet nécessaire face à l’électrification. En tant que ‘prosumer’, l’industrie recherche prix stables et garantie de continuité d’activité. Chez CE+T Power, la flexibilité est la clé. Nos solutions de conversion et stockage – batteries, piles à combustible – apportent une valeur ajoutée en optimisant les coûts industriels et en contribuant à la stabilité du réseau. Des business models comme l’Energy as a Service (EaaS) aident les industriels à éviter de gros investissements initiaux (CAPEX) au profit de coûts d’exploitation fixes (OPEX). Les micro-réseaux DC sont une solution technique pour mutualiser l’énergie en zone industrielle et éviter les pertes de conversion. Nous avons des projets concrets, comme un micro-réseau DC à Zwevegem et le projet MIRaCCLE à Herstal, qui optimisent l’énergie locale, la stockent et supportent le GRD. »
Kevin Antoine : « La transition énergétique entre dans une nouvelle phase. La sécurité d’approvisionnement étant redevenue centrale, le triptyque ‘sécurité, durabilité et accessibilité financière’ est désormais indissociable. Nous sommes passés à une logique de construction massive, avec par exemple une croissance de la demande électrique belge de 35-65 % d’ici à 10 ans, exigeant un développement accéléré des infrastructures. L’efficacité opérationnelle, la standardisation des technologies et le financement – y compris de nouveaux instruments pour attirer les capitaux, au-delà des PPAs classiques – sont des ingrédients critiques. Le mix énergétique reposera sur une combinaison d’électrons et de molécules – gaz naturel, CO2, hydrogène – basée sur des technologies éprouvées et quelques paris stratégiques. »
Mathieu Bihet : « Ce triptyque doit en effet être priorisé, avec la sécurité en clé de voûte, surtout pour l’industrie où le coût de l’énergie est déterminant. Les entreprises investissent si les prix sont stables. Le ‘permitting’ est le principal obstacle au développement des infrastructures – Boucle du Hainaut, Ventilus -, plus que le financement. Augmenter les capacités électriques impacte les prix ; l’équilibre est difficile. Le CRM, bien qu’imparfait, garantit la sécurité d’approvisionnement. Les systèmes réglementaires belges et européens sont complexes et se superposent, ralentissant la transition. Le politique doit fixer un cadre clair, sans interventionnisme. »
Comment nos entreprises peuvent-elles opérer les meilleurs choix parmi les options disponibles en matière de sources d’énergie ?
Mathieu Bihet : « En tant que ministre, je ne donne pas de conseils aux entreprises, mais je fixe un cadre clair. Je crois à la liberté d’entreprendre. Les entreprises peuvent modifier leur consommation énergétique, par exemple passer du gaz à l’électricité ou produire des molécules vertes sur site. Elles concilient conscience environnementale, santé financière et sécurité d’approvisionnement. La fiscalité, comme les systèmes ETS1 et l’arrivée d’ETS2, influence ces choix, malgré les craintes d’augmentation des coûts. Cependant, la fiscalité peut évoluer trop vite et créer des risques, comme l’a montré l’exemple des chaudières au mazout. Le rôle politique est d’accompagner la transition progressivement, avec une vision à moyen et long terme, sans sacrifier l’industrie. La concurrence intra-belge due aux recettes régionales d’ETS2 et le manque de règles uniformes au niveau européen posent des problèmes. Il faut être prudent avec le signal prix du carbone et sortir d’une approche uniquement basée sur la contrainte. La transition énergétique doit préserver l’industrie, l’économie et la prospérité. Les règles fiscales sont faciles à adopter, mais les entreprises sont difficiles à créer. »
Kevin Antoine : « La question de la diversification énergétique est complexe, mêlant impératifs financiers à court terme et décarbonation à long terme. Je retiens trois notions clés : la stabilité, l’optionalité et le concept de ‘prosumer’. Comme Monsieur le ministre l’a mentionné, une politique énergétique claire et stable est essentielle pour réduire l’incertitude et permettre la compétitivité de nos entreprises. Ensuite, l’optionalité est cruciale : comme par le passé, les gestionnaires de réseaux doivent continuer à offrir un mix énergétique diversifié aux entreprises et ménages. Cette infrastructure a été et reste un levier industriel majeur pour notre pays. Enfin, les consommateurs – ménages comme entreprises – deviennent de véritables acteurs de la transition. Les communautés d’énergie, les tarifs dynamiques et le stockage offrent de nouvelles opportunités. L’accompagnement des fournisseurs est essentiel afin d’intégrer ces dispositifs. Les acteurs doivent également chercher des solutions collectives pour répondre aux défis systémiques, comme la colocation énergétique avec l’implantation des nouveaux centres industriels proche de sources renouvelables. »
Le ‘dérisking’ public est incontournable pour lancer les réseaux H2 et CO2 de demain.
Leen Vanhamme
Olivier Bomboir : « Je souhaite aborder un cas concret qui illustre cela. Un groupe de distribution, après avoir installé de nombreux panneaux solaires, se voit refuser le raccordement de 200 à 300 kW supplémentaires par son gestionnaire de réseau. Cela montre que l’industriel doit devenir un acteur de son mix énergétique et anticiper les contraintes de raccordement, surtout avec une faible consommation propre. De plus, l’augmentation des voitures électriques chez ses clients l’oblige à installer des bornes de recharge, ce qui exige une bonne connaissance de son profil de consommation et des équipements sûrs. Il y a un réel enjeu de sécurité énergétique. Enfin, concernant le rendement, la majorité des consommateurs utilisent du courant continu et chaque conversion d’énergie entraîne des pertes. Les micro-réseaux en courant continu sont une piste intéressante pour éviter ces conversions multiples et préserver l’énergie produite, car un kilowatt perdu l’est définitivement. »
Michaël Deneve : « Les entreprises recherchent un équilibre entre sécurité d’approvisionnement, compétitivité et durabilité. En électricité, il est crucial de maintenir une base stable de production et le nucléaire reste un pilier important. Cependant, on parle trop peu de la chaleur, une source souvent cruciale et beaucoup plus difficile à décarboner, surtout à haute température. Cela se vérifie très fort chez nos clients actifs dans les secteurs chimique et alimentaire. L’hydrogène vert peut être une piste, mais il est trop rare et coûteux à court terme. Il vaut mieux exploiter la circularité énergétique : de nombreux industriels évacuent de la chaleur qui pourrait être réutilisée. Le cadre réglementaire doit encourager cela. La diversification énergétique dépasse le simple vecteur électrique ; un mix énergétique sur mesure est nécessaire. Chaque client a des besoins spécifiques, il faut donc construire des solutions adaptées à leur profil industriel et énergétique. »
Thomas Zeebergh : « Je ne crois pas que la diversification des sources d’énergie soit un objectif en soi pour les industries. Leur priorité est leur cœur de métier. L’énergie est un moyen, pas une fin. Cependant, elles peuvent y être contraintes par des réalités techniques et économiques, comme les délais des gestionnaires de réseau, ou pour atteindre des objectifs de durabilité. Notre premier conseil est d’investir dans la digitalisation. Mesurer et modéliser est la base de l’optimisation. Les technologies – capteurs, jumeaux numériques, outils de simulation – sont établies et permettent d’identifier rapidement les leviers d’efficacité. Il n’y a pas de solution universelle ; un calcul d’optimum est nécessaire pour chaque entreprise, site et processus, en tenant compte de la capacité du réseau local. La Belgique dispose d’une expertise en ingénierie pour accompagner ces démarches. »
La transition énergétique entre dans une phase de construction massive, avec une demande électrique qui bondira de 35 à 65 % d’ici 10 ans.
Kevin Antoine
Leen Vanhamme : « Vous avez raison : il n’existe pas de solution unique ; cela dépend du secteur industriel. L’électrification n’est pas toujours possible et les molécules, comme l’hydrogène vert ou bas carbone, sont essentielles comme source d’énergie et comme matière première – engrais, plastique, verre, etc. Une étude que nous avons menée a également montré un besoin de production électrique basé sur des molécules – gaz naturel, hydrogène, ammoniaque – pour compenser la variabilité (liée à la disponibilité du vent/soleil) de la production d’électricité verte. Pour des secteurs comme le ciment et la chaux, le captage du CO2 avec stockage en mer du Nord est actuellement la seule alternative pour pérenniser leurs activités en Belgique et réduire les émissions. Par ailleurs, des raffineries envisagent l’intégration de l’hydrogène vert. La demande existe, mais les contraintes réglementaires européennes et les coûts de production élevés freinent le démarrage de la chaine de valeur de l’hydrogène vert. Il y a aussi l’hydrogène bas carbone qui peut être produit, en grande quantité et à un coût moindre, à partir du gaz naturel avec captage de CO2. Mais là aussi, il reste à voir dans quelle mesure les règles européennes encourageront son utilisation. Bref, des freins subsistent et l’Europe devrait mettre en place un cadre réglementaire plus simple et stable afin d’éviter la délocalisation industrielle. »
Frédéric Dunon : « Il est crucial de définir le tissu industriel que l’on veut préserver. Quelle part de la chaine de valeur des industries intensives en énergie ? Quelle industrie active dans le recyclage ? Ce sont des enjeux majeurs en matière de souveraineté. Les matériaux recyclables peuvent être réutilisés si nous développons les chaines de recyclage adéquates en Europe et donc n’être importés qu’une seule fois. Pour répondre au doublement de la consommation électrique d’ici à 2050, le défi c’est l’anticipation. Ce qui n’est pas intégré au plan de développement d’ici à 2027 ne se réalisera pas avant 2040. C’est pourquoi le dialogue avec les 200 clients industriels d’Elia est constant. Leur compétitivité est un enjeu majeur. Ce dialogue est aussi fait avec le Plan Puissance et EnergieGRIP pour mieux identifier les besoins des entreprises. Au-delà des demandes de l’industrie et des entreprises, l’afflux de projets de data centers et de batteries – au total 70 TWh de projets de data centers et 23 GW de batteries – est irréaliste et occuperait une capacité beaucoup trop importante si tous se réalisaient. Des choix sociétaux sont nécessaires pour prioriser les accès aux réseaux : mobilité électrique, data centers, batteries, développement industriel. Il faut aussi un cadre réglementaire pour un accès flexible au réseau et une évolution de la gestion des files d’attente. »
Si l’on se projette à un horizon plus lointain, quels conseils donnez-vous encore aux entreprises afin de renforcer leur efficacité énergétique ?
Michaël Deneve : « L’efficacité énergétique est notre cœur de métier et demeure le levier le plus rentable et le plus immédiat pour nos clients de l’industrie. C’est pourquoi nous leur préconisons la logique éprouvée de la ‘Trias Energetica’ : d’abord, réduire la consommation en évitant les gaspillages et en améliorant l’efficacité ; puis, utiliser les énergies renouvelables autant que possible ; enfin, -recourir aux énergies fossiles de manière optimale et efficace uniquement pour la part restante, lorsque cela est indispensable à la continuité industrielle. Il est fondamental de ne pas oublier que la mission première de l’industrie est de produire. Réduire la consommation énergétique ou les émissions ne peut être une finalité en soi, au risque de fragiliser l’activité et l’emploi. Sur ce point, nos clients sont prêts à investir, mais le cadre réglementaire est déterminant. Il leur faut absolument ce cadre, surtout si l’objectif de moins de 90 % d’émissions d’ici à 2040 est confirmé, vu que les durées d’amortissement sont de 15 à 20 ans. Tout investissement engagé aujourd’hui doit être neutre en carbone ou être réfléchi pour être convertible d’ici à 2030 et être compatible aux subsides, assurant ainsi une planification durable et économiquement viable. Cela implique une vision stratégique pour que les efforts actuels s’alignent avec les objectifs futurs de décarbonation. »
La flexibilité du réseau est la clé pour sécuriser l’approvisionnement et optimiser les coûts industriels.
Olivier Bomboir
Olivier Bomboir : « À un tel horizon, notre conseil à l’égard des entreprises est d’adopter une approche axée sur la résilience, en travaillant sur deux dimensions essentielles pour renforcer leur efficacité énergétique. D’une part, il s’agit de privilégier des solutions flexibles et évolutives, comme les systèmes modulaires, capables de s’adapter aux besoins changeants. La solution modulaire doit être comparable au modèle ‘pay-as-you-grow’. Ainsi, les entreprises pourront investir en fonction de leur consommation, de leur production ou de leur stockage. Si, à un moment donné, leurs besoins en puissance ou en capacité de stockage augmentent, la solution doit pouvoir évoluer en conséquence, offrant une adaptabilité continue. D’autre part, il est crucial de prendre en compte les enjeux de sécurité, notamment en matière de données et de cybersécurité, en s’assurant que le constructeur, le fabricant ou le fournisseur choisi pour ces solutions soit certifié. Cette double approche assure à la fois l’adaptabilité opérationnelle et la protection des actifs et des informations dans un environnement énergétique en constante évolution. »
Thomas Zeebergh : « Je vous rejoins sur la nécessité de regarder loin devant. Pour prolonger la réflexion et rassurer les entreprises quant à leur capacité à renforcer leur efficacité énergétique, je tiens à souligner qu’elles peuvent faire confiance au niveau de compétence de la Belgique. Notre pays est doté de structures expérimentées en termes d’ingénierie et dispose de la technologie nécessaire pour assurer une efficacité énergétique de pointe. La mise en place et l’installation de ces technologies ne sont plus en phase de test ou d’innovation. Elles sont éprouvées, alignées à l’échelle industrielle et pleinement opérationnelles. Fiables et robustes, ces dispositifs vont véritablement supporter leurs outils industriels et contribuer à leurs objectifs à long terme. La maturité de ces solutions garantit que les investissements réalisés aujourd’hui fourniront des bénéfices durables, sans les risques associés aux technologies émergentes, permettant une transition énergétique sereine et efficace. »
La circularité énergétique, notamment la réutilisation de chaleur résiduelle, est une piste encore trop sous-exploitée.
Michaël Deneve
Kevin Antoine : « Il est temps d’adopter une logique plus holistique de la gestion énergétique, qui marie décarbonisation, accessibilité financière et indépendance énergétique. Ces enjeux complexes sont intimement liés et stratégiques pour les entreprises, afin d’anticiper les chocs et d’augmenter leur résilience. Il s’agit donc d’avoir une vision claire et structurée de son parcours énergétique, à court, moyen et long terme. Cela implique d’être proactif. Selon le niveau de sophistication, la taille de l’entreprise et les ressources disponibles en interne, il existe aujourd’hui sur le marché de nombreuses solutions pour construire ce trajet. Cela commence souvent par un audit énergétique. Il permet d’avoir une visibilité sur les données et d’identifier les leviers d’action, en termes d’efficacité énergétique, de recours aux renouvelables, de stockage et flexibilité et d’adaptation des processus industriels. Enfin, un point essentiel à ne pas négliger est l’afflux de capitaux. L’efficacité énergétique est souvent associée à des investissements lourds, mais des solutions existent, accessibles aux ménages comme aux entreprises de toutes tailles. Il suffit de se renseigner sur les offres disponibles ou de se faire accompagner pour identifier des dispositifs adaptés et des financements innovants. »
Mathieu Bihet : « Les entreprises ont déjà fourni des efforts significatifs en matière d’efficacité énergétique. Cependant, au-delà de leurs actions, le rôle des autorités publiques fédérales et régionales est primordial. Elles doivent fournir une offre énergétique adéquate et un cadre réglementaire clair et stable, comme cela a été souligné à plusieurs reprises. Cela permettra aux entreprises de transformer leurs consommations et de réduire leurs émissions, évitant ainsi des sanctions. Elles doivent aussi réintégrer le nucléaire – cette source sans CO2 est un levier essentiel pour atteindre les objectifs – et jouer un rôle crucial dans le ‘dérisking’ des nouvelles infrastructures. Des projets comme ceux portés par Fluxys CO2-hydrogène, coûteux dans leurs phases initiales, nécessitent un soutien étatique pour faciliter leur déploiement. L’Europe, quant à elle, doit cesser d’être tatillonne et d’entraver des projets majeurs comme l’île énergétique. Une remobilisation des fonds de relance non utilisés est nécessaire. Ces fonds devraient être concentrés sur des projets massifs de transition énergétique et de décarbonation. Une mobilisation européenne des capitaux est indispensable. L’objectif est de permettre aux entreprises d’atteindre leurs objectifs sans que leurs coûts n’explosent ou qu’elles ne soient contraintes de fermer ou délocaliser, garantissant ainsi la réindustrialisation européenne. »
L’énergie est devenue une gestion complexe : la consommation doit désormais s’adapter à la production.
Thomas Zeebergh
Leen Vanhamme : « Pour renforcer l’efficacité énergétique et soutenir la transition à long terme, nous construisons activement les réseaux de demain. Nous avons entamé la construction des premiers réseaux H2 et CO2 dans les régions d’Anvers et de Gand. Ce réseau sera progressivement étendu au cours des prochaines années en fonction du développement du marché et dans la mesure où le risque d’investissement lié au démarrage du marché reste acceptable grâce à des mécanismes publics. Le ‘dérisking’ est crucial. Si par le passé les investissements en gaz naturel ont été portés par la demande et soutenus par des contrats, les marchés H2-CO2 sont actuellement en construction. Tous attendent l’infrastructure pour avancer. Les premiers clients ne peuvent assumer seuls le coût d’un réseau dimensionné pour une demande à moyen terme. Pour pouvoir assurer des tarifs abordables, des mécanismes de soutien doivent ‘dérisquer’ les investissements nécessaires. »
Frédéric Dunon : « J’appuierai ce qui a déjà été dit : les entreprises doivent impérativement s’adapter à un mix énergétique où la flexibilité est cruciale. Beaucoup ne sont pas encore préparées. Je préconise quatre axes. Un : sur les ‘assets’, intégrer la flexibilité dans les investissements et les processus pour ajuster la production selon les prix, sans compromis sur le résultat. Deux : les organisations internes doivent évoluer, notamment la collaboration entre départements opérationnels et ‘energy contract managers’. Trois : revoir le cadre contractuel. De nombreux contrats ne valorisent pas la flexibilité. Le ‘supply split’ – deux fournisseurs/contrats pour un même compteur – est la clé. Enfin, l’accès à l’information est vital. Même avec des actifs adaptés, une organisation cohérente et des contrats flexibles, il faut les bonnes données pour s’adapter au bon moment. Elia publie des prix quasi en temps réel pour l’équilibre de zone, permettant des ajustements, même si certains préfèrent le ‘day-ahead’. »
Glossaire
ADFLEX – Analyse adéquation et flexibilité : étude d’Elia évaluant l’adéquation production/ consommation et la flexibilité du système électrique belge sur un horizon de 10 ans.
CRM – Mécanisme de rémunération de capacité : système garantissant la disponibilité de capacités de production électrique suffisantes, notamment lors des pics de demande, via un mécanisme de soutien à la production.
GNL – Gaz naturel liquéfié : gaz naturel refroidi et liquéfié pour faciliter son transport par bateau.
TSO électricité – Transmission System Operator : gestionnaire de réseau de transport d’électricité, responsable de l’exploitation et de la maintenance des lignes haute tension.
DSO – Distribution System Operator : gestionnaire de réseau de distribution d’électricité, acheminant l’électricité du réseau de transport aux consommateurs finaux.
Jumeaux numériques : répliques virtuelles d’objets ou systèmes physiques permettant de simuler, d’optimiser et de prédire le comportement d’infrastructures énergétiques.
Prosumer : acteur qui produit et consomme de l’énergie.
PPAs – Power Purchase Agreements : contrats d’achat d’électricité à long terme entre producteur et consommateur, offrant stabilité des prix et financement pour les renouvelables.
ETS1 et ETS2 – Emissions Trading System : systèmes UE d’échange de quotas d’émissions de CO2 pour encourager la décarbonation. ETS2 inclut les secteurs du transport et du bâtiment.
Dérisking : réduction des risques d’investissement, souvent via des soutiens publics, cruciale pour les nouvelles infrastructures énergétiques.
H2 – Dihydrogène : gaz inodore, incolore et très inflammable composé de deux atomes d’hydrogène.
Supply split : stratégie d’approvisionnement auprès de plusieurs fournisseurs ou via différents contrats pour un site, offrant flexibilité et réduisant les risques.
Day-ahead : marché de l’électricité où les échanges pour le lendemain fixent les prix selon les prévisions de consommation et production.