Les produits autrefois réservés aux investisseurs institutionnels deviennent accessibles aux particuliers. CACEIS, un acteur clé spécialisé dans les services financiers, analyse ce processus.
Quelques mots de présentation tout d’abord. Quel est le rôle clé joué par CACEIS ?
Olivier Storme, Country Managing Director de CACEIS Bank, Belgium Branch : « Fondé en 2005 en France par le Crédit Agricole et les Caisses d’Epargne, CACEIS est aujourd’hui détenu à 100 % par le Crédit Agricole et est un groupe bancaire international entièrement dédié à l’asset servicing. Il propose des services financiers à valeur ajoutée sur l’ensemble de la chaîne de valeur de toutes les classes d’actifs, à destination d’une clientèle d’investisseurs institutionnels, de sociétés de gestion, fonds de pension, fonds de private equity, banques, brokers et entreprises.
Avec 5300 milliards d’euros d’actifs en conservation dont 600 milliards en private assets, CACEIS est un leader européen.
CACEIS est un leader européen, avec 5300 milliards d’euros d’actifs en conservation dont 600 milliards en private assets. Présent dans 17 pays, le groupe CACEIS emploie 7000 personnes, dont 80 en Belgique. La Belgique occupait déjà une position stratégique importante dès la création de CACEIS, et elle l’est encore davantage aujourd’hui pour le groupe Crédit Agricole, à la suite de l’acquisition par Indosuez Wealth Management de la Banque Degroof Petercam, ainsi que de la prise de participation minoritaire par le groupe Crédit Agricole dans Crelan. »
La retailisation du private equity prend de l’ampleur. Pour quelles raisons ?
Emmanuel Rousseau, Managing Director de CACEIS Bank, Belgium Branch : « Il a été démontré que l’investissement en private equity offre un rendement attractif. Sur le plan réglementaire, le dispositif ELTIF de l’Union Européenne a été créé pour offrir une possibilité d’investissement supplémentaire et permettre, par le biais de ces véhicules, d’attirer des capitaux afin de développer les infrastructures dont l’Europe a tant besoin. La version 2.0 a été lancée pour moderniser le cadre existant et pourrait permettre l’émergence d’ELTIF de droit belge mieux adaptés aux besoins identifiés lors de la rédaction initiale du règlement. Ces ELTIF, comme des véhicules de private equity, offrent aux particuliers la possibilité de diversifier les risques et de saisir de nouvelles opportunités d’investissement.
Toutefois, une telle démarche reste individuelle : ceux qui souscrivent à ce type d’investissement doivent conserver la maîtrise de leur gestion du risque et garder à l’esprit que l’argent investi peut être immobilisé plusieurs années. On constate néanmoins un intérêt croissant de la part des investisseurs potentiels ce qui souligne la nécessité d’un meilleur encadrement réglementaire. Dans ce contexte, on peut donc espérer une structuration plus poussée en Belgique pour permettre une plus large adhésion à ce type de produit tout en garantissant protection adéquate aux investisseurs retails. »
Olivier Storme : « La Belgique offre moins de flexibilité en matière de private equity que le Luxembourg. La réglementation luxembourgeoise propose un cadre mieux adapté aux différentes typologies d’actifs et d’investisseurs pour le lancement de tels produits, ce qui apporte davantage de confort aux investisseurs. De plus en plus de fonds belges de private equity cherchent actuellement à lever des capitaux mais il subsiste encore des obstacles spécifiques sur le marché belge, notamment en raison de la difficulté d’accès ou de la concentration des transactions dans certains secteurs. »
Emmanuel Rousseau : « En effet, il existe aujourd’hui en Belgique de belles initiatives et plusieurs levées de fonds, mais lorsqu’on observe qui y participe, on constate qu’il s’agit encore d’un cercle restreint d’investisseurs. La question stratégique à se poser est donc : qui cherche-t-on à solliciter pour ce type d’investissement ? Ailleurs qu’en Belgique, des initiatives particulièrement intéressantes se développent pour élargir le champ des investisseurs susceptibles d’y souscrire. »
Néanmoins, certains acteurs ne voient pas pourquoi il faudrait se concentrer davantage sur la Belgique, alors que le private equity est accessible partout dans le monde. N’est-ce pas paradoxal ?
Emmanuel Rousseau : « Tout dépend où on se situe. Nous parlons ici de véhicules de droit belge qui sont destinés à capter des capitaux en Belgique, avec pour résultat la création de structures locales qui procéderont ensuite à des investissements. Ces structures pourront décider s’il y a suffisamment d’initiatives locales pour y investir, ou au contraire estimer qu’il est préférable de d’investir à l’étranger compte tenu des opportunités. Néanmoins, maintenir en Belgique les capitaux levés peut s’avérer bénéfique pour l’émergence de futurs fleurons nationaux.
Le reporting apporte pourtant de la transparence et, lorsqu’il est harmonisé, de meilleures lisibilité, analyse et comparabilité.
Ne pas offrir suffisamment de possibilités d’investissement local reviendrait à passer à côté d’une opportunité. En restant dans un environnement belgo-belge, des règles peuvent être mises en place par les régulateurs. Un tel dispositif offre une sécurité accrue par rapport à celle garantie en dehors de notre pays et du territoire européen. Il est donc primordial que tout le dispositif juridique soit mis en place pour permettre des opportunités de diversification et d’investissement à un plus large public et capter un maximum de capitaux. Aujourd’hui encore, la Belgique semble quelque peu en retrait sur certains de ces aspects. »
Olivier Storme : « Selon les prévisions de Cerulli Associates, 100 000 milliards de dollars d’actifs vont changer de main au cours des 10 prochaines années, passant des baby-boomers aux nouvelles générations. Pour ces investisseurs, les ETF, les private assets et les crypto-actifs deviendront des centres d’intérêt majeurs, obligeant le marché à s’adapter à cette nouvelle réalité. La nouvelle génération ne ressent plus l’obligation de posséder sa propre maison ou sa voiture : participer à des actions plus tangibles a désormais bien plus de valeur qu’autrefois. Les régulateurs ont donc tout intérêt à s’emparer de ces sujets, car il ne s’agit pas d’un simple effet de mode. Il est donc important de développer un cadre protecteur, pour inciter les investisseurs retail à s’engager sans crainte. L’Europe n’est pas un marché unique et chaque marché dispose de son propre arsenal pour attirer ces activités. »
Le reporting peut-il constituer un outil stratégique pour piloter ces activités ?
Emmanuel Rousseau : « Il l’est d’autant plus qu‘aujourd’hui différents types de véhicules coexistent et peuvent être structurés de diverses manières, entrainant potentiellement des règles d’évaluation comptables différentes. Dès lors, le reporting vis-à-vis des investisseurs devient essentiel. Il existe désormais des normes visant à harmoniser les reportings en matière de private equity et à garantir que l’information communiquée aux investisseurs réponde à leurs besoins. Toutefois ces normes ne sont pas toujours imposées par la réglementation. Le reporting apporte pourtant de la transparence et, lorsqu’il est harmonisé, de meilleures lisibilité, analyse et comparabilité, quelle que soit la structure juridique du véhicule. »
Olivier Storme : « La standardisation du reporting est également importante en matière de critères ESG. Les investisseurs souhaitent avoir un impact plus fort en privilégiant les sociétés de private equity qui intègrent ces composantes dans leur stratégie. »
Emmanuel Rousseau : « Le monde est en train de changer et le mouvement de retailisation à l’étranger prend une ampleur telle, qu’il ne peut pas être ignoré. Il finira par s’imposer en Belgique. »