Quel futur pour le commerce? Autour de quels enjeux tracer son avenir? Selon Christophe Sancy, Rédacteur en chef de Gondola Magazine, il s’agit d’un exercice prospectif bien périlleux.
On est trop souvent tenté de s’y livrer en articulant sa réponse autour de perspectives exclusivement technologiques, quand tant d’autres facteurs – économiques, sociologiques, culturels, environnementaux, éthiques – seront tout aussi déterminants. Le récent face-à-face, sur la scène d’un forum consacré à l’intelligence artificielle, entre Jack Ma, le patron d’Alibaba, et Elon Musk, celui de Tesla et SpaceX, illustre parfaitement cette querelle entre modernes et ultra-modernes.
Quand Elon Musk fait de la technologie le nouveau “destin manifeste” d’une humanité dont la nature même pourrait changer, Jack Ma préfère interroger la capacité de cette technologie à mieux interroger et servir nos propres identités contemporaines, en soulignant que 99 % des prédictions faites autrefois se sont révélées fausses.
Des principes vieux de 150 ans
On pourrait d’ailleurs, avec la même malice, souligner qu’en matière de commerce, tout a déjà été inventé voici 150 ans par Aristide Boucicaut. C’est bien le fondateur du Bon Marché parisien qui identifia tous les paramètres révolutionnaires sur lesquels repose encore le langage commercial d’aujourd’hui : l’entrée libre, l’affichage des prix, l’achat à crédit, le marketing d’enseigne, le fichier clients, les promotions thématiques et calendaires, le catalogue de vente à distance, la livraison à domicile…
Le sort d’une enseigne restera toujours lié à sa capacité à inventer ou réinventer une expérience gratifiante, une offre différenciée et pertinente
Autant de principes fondateurs que l’e-commerce n’a pas remplacés, mais au contraire optimisés, en exploitant les atouts de la digitalisation. Et Amazon, me direz-vous ? C’est vrai que le colosse du web marchand fascine – ou effraie – aujourd’hui bien des retailers. La véritable rupture que constitue le portail américain ne tient pas tant à ses audaces technologiques, magasins automatiques ou livraison par drones, qui seront réplicables. C’est plutôt son redoutable modèle de place de marché universelle, son ambition de former le guichet unique de consommation, qui inquiète. Les principaux groupes de distribution l’ont bien compris, qui procèdent à une amazonification de leur propre vitrine commerciale.
L’impact de la technologie
Quant à la technologie, elle va bien sûr façonner l’évolution de nos parcours de shopping, fluidifier les transactions, rendre plus floues les frontières entre les canaux de vente. Mais le futur du commerce ne pourra seulement se définir par l’adoption de la même panoplie technologique interchangeable.
Le sort d’une enseigne restera toujours lié à sa capacité à inventer ou réinventer une expérience gratifiante, une offre différenciée et pertinente. Peut-être n’y aura-t-il plus de commerce possible sans forte de dose de technologie. Mais il n’y aura jamais non-plus de commerce prospère sans grands commerçants, sans leur métier, leur capacité à comprendre et satisfaire cet obscur et parfois contradictoire objet du désir des consommateurs que nous sommes.