La transition énergétique constitue un enjeu énorme. Elle concerne tous les secteurs de notre société. Parmi ceux-ci, l’immobilier remplit un rôle important, souvent précurseur. 7 experts nous livrent leur vision sur les avancées déjà réalisées mais aussi les défis considérables à affronter pour atteindre la neutralité climatique.
Texte : Philippe Van Lil
Dans quelle mesure l’innovation technologique dans le secteur immobilier permet-elle de rencontrer les objectifs de la transition écologique ?
Olivier Carrette : « En plein essor, l’innovation technologique s’impose à nous pour répondre aux objectifs que l’on se doit de respecter : neutralité carbone d’ici à 2050, obligations ESG liées à l’environnement, au social et à la gouvernance, etc. Chacun a un rôle à jouer : secteur privé, secteur public et secteur professionnel immobilier. Au sein de ce dernier, le promoteur se doit de développer des bâtiments modernes, tournés vers le futur, qui correspondent à une attente des occupants. L’un des défis majeurs est qu’aujourd’hui, le résidentiel neuf ne représente que 1 à 2 % par an du patrimoine total. Cela signifie que 98 % du patrimoine existant est vieillissant, comptant en moyenne 75 années d’existence. Il faut donc agir rapidement si l’on veut renouveler nos bâtiments. L’innovation technologique doit être aussi axée sur la multifonctionnalité. À l’avenir, un même bâtiment devra pouvoir changer d’affectation, que ce soit pour du résidentiel, du bureau ou du retail. Le monofonctionnel, c’est terminé ! »
L’un des défis majeurs est qu’aujourd’hui, le résidentiel neuf ne représente que 1 à 2 % par an du patrimoine total.
Olivier Carrette CEO de l’Union Professionnelle du Secteur Immobilier
Julie Willem : « Vous avez raison d’insister sur la nécessité de bâtiments adaptés aux évolutions futures. La crise sanitaire nous a montré à suffisance la possibilité d’adapter nos logements en lieux de travail, de mélanger nos lieux de vie et d’activités. Préexistante à la crise, cette perméabilité des fonctions, largement soutenue par une évolution technologique, s’est en réalité accélérée. À présent, hors situation d’urgence, serons-nous capables de mettre en place des solutions durables, plus concertées, avec une vision à plus long terme ? Il nous faut notamment proposer des villes avec des lieux de travail et de résidence en harmonie avec le climat et l’environnement. La technologie est la couche de services nécessaire à cette perméabilité de fonctions, le ‘software’, mais nous devons en priorité nous occuper de la qualité du ‘hardware’ : la performance des bâtiments, l’enveloppe physique de nos activités. Faible consommation d’énergie et faible production de gaz à effet de serre ne dépendent pas uniquement des Proptech et des nouvelles technologies mais bien de la performance environnementale de nos bâtiments, de la qualité de nos activités et de la manière dont nous utilisons les bâtiments. »
Sophie Lambrighs : « On se doit d’être attentif au fait que la technologie peut améliorer la durabilité mais qu’elle peut avoir également des impacts en termes de surconsommation ou de surutilisation de matériaux. Quand on place des écrans tactiles dans chaque salle de réunion pour simplement vérifier qu’elle est réservée ou non, on utilise des métaux rares qui seront en outre les polluants de demain. La course technologique doit avoir des limites ! »
Raphaël Legendre : « Je crois que l’une des clés est la gestion intelligente des immeubles, car cela permet de réduire l’impact sur leur durée de vie et d’agir sur l’existant. Mais il ne faut pas uniquement se focaliser sur des solutions à très haute valeur ajoutée. Dans certains domaines, on doit rester pragmatique. Exemple : on favorise aujourd’hui l’équipement des parkings privés en bornes de recharge rapides, alors qu’une prise de courant classique permet de recharger en une nuit de quoi rouler 100 km, ce qui suffit aux déplacements quotidiens de la majorité de la population. »
Rikkert Leeman : « Les innovations technologiques sont en fait surtout un facilitateur de tendances constatées depuis plusieurs années. Dans le secteur de l’immobilier, le volet technique a pris le pas sur la brique. Cela commence dès la phase de conception : auparavant, on dessinait des bâtiments, alors qu’aujourd’hui, des ‘building modeling systems’ font le design en 3D automatiquement. Cela se poursuit avec des techniques de préfabrication impliquant des énergies renouvelables comme la géothermie et le photovoltaïque. Cela continue encore lors de la commercialisation via diverses plateformes et applications pour trouver une maison, comparer les prix, analyser la mobilité, vérifier les performances énergétiques, clôturer un deal, choisir les finitions, etc. En phase d’exploitation, la tendance se poursuit : nombre de technologies intelligentes facilitent l’utilisation, l’exploitation et la gestion des bâtiments et de leurs services à distance. L’internet des objets, entre autres, devient réalité. »
Sandra Gottcheiner : « Je vous rejoins sur ce point : le secteur doit être sensible aux nouvelles tendances. L’immobilisme ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de 2050. Le développement de logiciels de smart office permet de mieux utiliser les bâtiments, grâce à la gestion proactive des données, aux interfaces de programmation (API), aux Proptechs, etc. Dans le même temps, innover, c’est oser faire bouger les lignes, oser de nouvelles solutions. Le réemploi de matériaux en est un bon exemple : habitués à ce que tous les produits soient certifiés en sortant de process industriels, les développeurs se remettent aujourd’hui en question. La crise que traversons nous a habitués… à sortir de nos habitudes ! Tous les projets des développeurs intègrent désormais de nouveaux matériaux, de nouvelles technologies et de nouvelles façons de consommer l’énergie. »
Peter De Durpel : « Le Property Management offre effectivement un grand nombre d’applications pour la surveillance, le monitoring des énergies, la gestion des salles de réunion et postes de travail, etc. Toutefois, j’estime que dans la phase de construction même, le secteur travaille encore trop de manière traditionnelle. Je suis partisan de la construction hors site, avec plus de préfabrication et de nouvelles méthodes, dont le bois. C’est à ce moment que le Building Information Modeling (BIM), soit la modélisation visant à faciliter la faisabilité de projets, prend tout son sens. Elle permet notamment de travailler dans des ateliers d’assemblage qui présentent des conditions d’efficacité et de sécurité bien plus optimales que sur chantier. Concernant l’innovation dans le domaine des énergies, il faudrait également aller plus loin en cherchant des collaborations au niveau des quartiers au lieu de travailler bâtiment par bâtiment. Cela demande des initiatives de la part des autorités mais aussi une collaboration entre les acteurs de l’immobilier. »
Il nous faut proposer des villes avec des lieux de travail et de résidence en harmonie avec le climat et l’environnement.
Julie Willen International Executive Manager & Archilab Director chez Atenor
Sophie Lambrighs : « Ce dernier point relatif à la collaboration est d’une grande importance, d’autant plus que, comme cela a été souligné, le nombre de projets de bâtiments neufs est relativement réduit. De plus, entre le moment où l’on commence à travailler sur un projet et celui où l’on est confronté à l’investisseur final, il s’écoule plusieurs années. Des structures d’échange doivent permettre une accélération de cet aspect mais aussi sur des parcours d’essai et d’utilisation de matériaux et de technologies. »
Quels leviers faut-il encore actionner pour atteindre la neutralité climatique ?
Raphaël Legendre : « Comme cela a déjà été souligné, la rénovation du parc immobilier, en particulier résidentiel, est le défi majeur mais elle est complexe car ce parc est éclaté en une multitude de propriétaires. L’immobilier de bureau, généralement moins touché par cette dernière problématique, pourrait déjà constituer une partie de la solution. Les politiques publiques devraient viser l’accélération du remplacement du parc de bureaux vétustes. Cela aurait un double avantage. Un : permettre de reloger leurs occupants dans des bâtiments plus économes en énergie et plus respectueux de l’environnement. Deux : libérer des surfaces qui pourraient être reconverties en résidentiel. »
Olivier Carrette : « Vous avez raison, le cas des copropriétés complexifie les choses. La Belgique compte de nombreuses copropriétés ; on estime en effet qu’entre 3 et 4 millions de personnes sont concernés par ce régime. Nombre de rénovations lourdes sont impossibles du fait que souvent un seul copropriétaire peut bloquer l’intégralité de la rénovation d’un bâtiment. À ce train-là, on n’arrivera jamais à rénover notre parc immobilier. La loi fédérale sur la copropriété, qui exige l’unanimité dans les prises de décisions pour la modification de la répartition des quotes-parts de copropriété ainsi que pour la reconstruction totale de l’immeuble, devrait être revue. On pourrait par exemple faire dépendre les prises de décisions de l’ancienneté ou de vétusté du bâtiment ! »
Raphaël Legendre : « Un autre élément de réponse à la crise climatique dépasse le seul secteur de l’immobilier ; il tient à l’aménagement du territoire. Il s’agit de la densification réfléchie des centres urbains existants et de la création de nouveaux centres urbains décentralisés, notamment pour éviter des déplacements inutiles. Mais créer des centres urbains décentralisés signifie aussi créer de la multifonctionnalité, c’est-dire de véritables lieux de vie avec une mixité de bureaux, de commerces et de logements. Il faut de véritables plans d’aménagement qui pensent la ville et non plus simplement une approche qui se focalise sur des projets au coup par coup et attend d’eux de résoudre tous les problèmes. »
On se doit d’être attentif au fait que la technologie peut améliorer la durabilité mais qu’elle peut avoir également des impacts en termes de surconsommation.
Sophie Lambrighs CEO Belgium d’Eaglestone
Sophie Lambrighs : « Je suis entièrement d’accord avec vous sur la nécessité d’anticiper. Beaucoup de sociétés de développement et d’entreprises de construction s’étaient d’ailleurs déjà engagées dans des démarches de neutralité carbone ou d’amélioration des performances énergétiques avant que cela ne soit obligatoire. Ce fut cependant différent lorsque la réglementation sur le bâtiment passif est entrée en vigueur à Bruxelles. Dans un premier temps, le secteur a fait un blocage, arguant entre autres d’une hausse des prix. Finalement, après quelques années, tout le monde s’est accordé à dire que c’était une bonne chose. Ceci démontre que les institutions, tant privées que publiques, sont sensibles aux aspects de la durabilité. »
Peter De Durpel : « La notion de plans d’aménagement urbains que vous évoquez est également fondamentale. En matière d’énergie, nous devons chercher des solutions à l’échelle des quartiers et pas seulement de chaque immeuble. Les centrales d’énergie permettent de profiter d’échanges en intervenant sur la production et la distribution. Des initiatives doivent être prises en ce sens par les autorités des grandes villes, en collaboration avec l’industrie et le marché privé de l’immobilier. Le même principe prévaut au niveau de l’organisation sociale. Il ne suffit pas que tous les magasins soient accessibles en 15 minutes ; il faut des quartiers où l’on peut passer une journée entière car tout est à portée de main. Les quartiers monofonctionnels comme la Gare du Nord à Bruxelles ont vécu. Un quartier doit vraiment être un mix de résidentiel, de bureaux et de retail ; cela demande beaucoup de coordination entre nous, acteurs de l’immobilier, mais surtout avec les autorités. »
Rikkert Leeman : « Dans le trajet vers la neutralité climatique, la transition énergétique est essentielle. Relever ce défi passe immanquablement par un ‘rendement spatial’, ce terme étant sans doute préférable à celui de ‘densification’. Le meilleur rendement de l’espace limité dont nous disposons concerne bien sûr nos grandes villes mais aussi les villes secondaires et les communes. Au regard de sa superficie, la Belgique est aujourd’hui encore la triste championne mondiale du nombre d’autoroutes, de réseaux d’égouttage et de dépenses d’énergie. Notre pays est celui qui, en Europe, possède le plus de bus… mais qui sont les moins utilisés ! Tout cela est dû à une concentration de l’espace qui est loin d’être optimale. Comparé à des villes comme Paris ou Londres, Bruxelles a encore un potentiel de densité urbaine colossal, sans que l’on construise pour autant des tours immenses et des espaces oppressants. »
Innover, c’est oser faire bouger les lignes, oser de nouvelles solutions. Le réemploi de matériaux en est un bon exemple.
Sandra Gottcheiner Development & Innovation Director de BPI Real Estate
Sophie Lambrighs : « En vue d’atteindre la neutralité climatique, un point très positif est le nouveau règlement européen Taxonomie. Il incite voire oblige l’investissement financier à devenir durable. Ce levier touche tout le monde, dans la mesure où les projets des acteurs du secteur, tout comme l’acquisition d’appartements par des individus lambdas sont très largement financés par les banques. »
Julie Willem : « Poussé par le développement de la taxonomie européenne, cette classification de la durabilité des activités d’entreprise, le milieu financier s’est en effet emparé des questions de durabilité. À travers l’ESG (Environmental, Social and Governance), la durabilité des immeubles est enfin valorisée sur une base tangible. Le milieu financier est un puissant accélérateur de tendances jusque-là volontaires ou idéalistes. Subitement, tout le monde veut être ‘green’, y compris les occupants d’immeubles. Cependant, la réglementation risque aussi de produire des laissés-pour-compte, celle-ci incitant plus directement les entreprises et dans une bien moindre mesure les privés. Les autorités publiques devraient pouvoir agir sur la disparité qui existe entre le marché du logement et le marché corporate. »
Sandra Gottcheiner : « Cette réglementation européenne a néanmoins un autre avantage : permettre aux acteurs de l’immobilier de communiquer de manière claire et efficace à l’égard du monde financier, des autorités, des riverains et du grand public sur les projets qui sont durables… et sur ceux qui ne le sont pas ! Plus les normes sont précises et ambitieuses, plus la communication du secteur est facilitée. Car, en dépit de son engagement pour l’environnement, le monde de l’immobilier souffre encore parfois d’une mauvaise image : en construisant les bâtiments durables de demain, il produit forcément du CO2 au départ mais réduit considérablement les émissions des occupants pour le futur. Au-delà de la communication, cette réglementation nous amène aussi désormais à rénover des bâtiments que nous ne pensions pas pouvoir rénover dans le passé. Elle permet également de montrer que dans d’autres cas, une démolition suivie d’une reconstruction a parfois plus de sens au niveau énergétique que vouloir de conserver à tout prix un bâtiment. »
Julie Willem : « À Bruxelles, la majorité des projets est déjà alignée sur la réglementation taxonomie vu notre avancée grâce à diverses initiatives telles que les Bâtiments Exemplaires ou maintenant le programme Renolution. L’un des tout premiers objectifs de cette réglementation européenne est le ‘climate mitigation’, soit l’atténuation du changement climatique. Pour l’atteindre, la meilleure voie à suivre est d’arriver à des villes et bâtiments où l’énergie utilisée et les émissions produites sont en rapport avec l’activité qui y est liée. Cela doit passer nécessairement par une série de points que nous avons déjà évoqués : la concentration des activités, la densification des espaces et une certaine mixité des fonctions. »
Il faut de véritables plans d’aménagement qui pensent la ville, créer des centres urbains décentralisés signifie aussi créer de la multifonctionnalité.
Raphaël Legendre Country Director Belgium de BESIX RED
Olivier Carrette : « Malheureusement, nous vivons encore dans un pays surréaliste et très compliqué. En matière de durabilité, toutes les réglementations sont régionalisées alors que les mesures prises pour la soutenir sont de compétence fédérale. Vu la composition différente des majorités aux divers niveaux de pouvoir, on assiste régulièrement à un marchandage entre partis et à un manque de volonté et de courage politiques. Tout cela freine de nombreuses décisions. C’est le cas notamment concernant la mesure de relance prise par le gouvernement fédéral pour réduire la TVA de 21 à 6 % sur la démolition et la reconstruction. Elle permet une meilleure accessibilité à l’acquisition d’un logement pour les ménages. Nous avons demandé la prolongation de cette mesure qui vient à terme fin de cette année et aura duré deux ans. Même si tous les partis sont d’avis que c’est une bonne mesure, certains partis veulent faire passer d’autres dossiers pour accepter cette prolongation. Ce marchandage est triste et néfaste ! »
Comment voyez-vous la ville de demain ?
Sandra Gottcheiner : « La ville de demain, c’est d’abord une ville dans laquelle on peut tout trouver sur place, se déplacer facilement et à partir de laquelle on peut se rendre n’importe où ailleurs. Un couple dont l’un travaille à Paris et l’autre à Nivelles doivent pourvoir aisément revenir chez eux pour y disposer, à proximité, de commerces, de parcs, de tous les services liés à la culture, à l’éducation, à la mobilité partagée, etc. C’est ensuite un endroit où il fait bon vivre mais sans surconsommer nos ressources, sans coulée de béton inutile. C’est enfin une ville dans laquelle le partage passe par une meilleure compréhension des systèmes de redistribution des richesses. Dans ce cadre-là, n’oublions pas que l’immobilier et la construction sont de grands pourvoyeurs de TVA sur la construction et de taxes en termes d’urbanisme et de précompte, et qu’ils fournissent aussi du travail à énormément de personnes qui payent des taxes… Tous ces moyens permettent aux autorités de créer la ville de demain en mettant en place des services comme, notamment, du logement social pour les personnes disposant de moins de moyens financiers. »
En matière d’énergie, nous devons chercher des solutions à l’échelle des quartiers et pas seulement de chaque immeuble.
Peter De Durpel COO de Nextensa
Sophie Lambrighs : « Je partage votre point de vue : la ville de demain se construit à plusieurs niveaux. Nous en sommes tous responsables dans la mesure où, en tant que citoyens, nous devons changer certains de nos comportements et accepter certaines contraintes. En même temps, personne n’en est responsable car chaque territoire, à des échelles différentes – Europe, pays, régions, etc. -, doit avoir une vision et une stratégie spécifiques sur la manière d’organiser la vie en commun. C’est sans doute ceci qui manque le plus actuellement. Aujourd’hui, les pouvoirs publics n’ont de prise sur les nouveaux projets que lorsqu’ils délivrent des permis. De plus, ils ne tentent de compenser les lacunes constatées au niveau des quartiers qu’en se concentrant sur des projets neufs. Ceci est une dérive néfaste. »
Raphaël Legendre : « Quand on pense à la ville de demain, on a souvent une vision futuriste et très technologique ; on imagine de la disruption et une véritable révolution. En réalité, la ville de demain, on la connaît déjà. Elle est synonyme de qualité et de proximité : qualité des aménagements, de l’architecture, des espaces publics, de l’urbanisme en général, proximité des services. Cette vision rejoint un concept déjà développé dans les années 80 par le sociologue américain Ray Oldenbrug. Dans The Great Good Place, il écrivait que chaque individu trouve son équilibre autour de trois ‘royaumes’ : le chez-soi, le travail et un tiers lieu dans lequel on échange, on sociabilise comme les lieux de culture, de sport, de rencontre et de commerce. Je pense que l’on doit revenir à ces fondamentaux, qui sont à la base du bonheur d’un citadin urbain. L’innovation technologique et le progrès ne sont pas un but en soi mais bien des outils pour atteindre ces objectifs. »
Relever le défi de la transition énergétique passera immanquablement par un ‘rendement spatial’ et la Belgique est en retard à niveau-là.
Rikkert Leeman CEO d’Alides
Sophie Lambrighs : « Quand on parle de la ville de demain, on entend aussi beaucoup parler de mixité avec, au même endroit, à la fois du logement, du commerce et des bureaux. Cela a du sens au niveau d’une ville ou encore lorsqu’il s’agit, par exemple, de construire des écoles là où les gens habitent et travaillent. Toutefois, c’est moins vrai au niveau d’un quartier et encore moins au niveau de chaque immeuble. Certains quartiers et la plupart des immeubles vivent très bien en étant monofonctionnels. Vouloir la mixité à tout prix représente une débauche d’énergie et de moyens inutile. »
Raphaël Legendre : « Je suis d’accord avec vous : un quartier ne doit pas forcément être mixte à l’échelle d’une rue ou d’un pâté de maison. Il est en revanche fondamental de penser différents points centraux en ville, autour desquels peuvent s’agréger des quartiers peut-être plus résidentiels et plus apaisés mais toujours reliés aux quartiers centraux par des transports publics efficaces. En matière d’urbanisme, les erreurs du passé sont finalement aujourd’hui une chance puisque les grands ensembles immobiliers obsolètes des années 60 constituent une opportunité exceptionnelle de repenser de tels projets mixtes pour demain. »
Rikkert Leeman : « Je ne peux qu’être d’accord avec vos propos, que ce soit sur la dérive de vouloir réunir plusieurs fonctions dans un seul immeuble ou le fait que la ville de demain existe déjà. On ne doit pas réinventer l’eau chaude ! Il y existe beaucoup d’exemples de bonnes pratiques dont nous pouvons nous inspirer. L’interconnectivité notamment trouve des applications technologiques qui permettent l’échange de fonctions, de services, de surfaces, d’énergie, etc. Parmi les exemples inspirants, on trouve la dynamique existant à San Francisco, qui est une belle une combinaison de petites communes dans une grande ville ou, plus proche de chez nous, Rotterdam, qui bouillonne de bonnes idées. En Belgique, il manque encore d’émulation et il y a encore trop de règles urbanistiques contraignantes. Nous devrions bien plus miser sur les solutions existantes et sur notre créativité pour sauter le pas vers une ville innovante. »
Julie Willem : « Pour continuer sur cette perméabilité des fonctions, nous pourrions dire que la ville de demain est une ‘ville sans portes’. En effet, durant longtemps, il a fallu ouvrir des portes pour accéder à des lieux aux fonctions fixes. Par exemple pour travailler, il fallait pousser la porte de son bureau, allumer un ordinateur fixe, accéder à un téléphone fixe, conserver des dossiers papier dans une armoire, etc. Aujourd’hui, les ordinateurs sont portables, les téléphones connectés et les dossiers sont stockés dans le cloud. Pour une large catégorie de métiers, il suffit d’une connexion internet pour travailler depuis n’importe quel lieu. Plus besoin non plus de pousser la porte d’un magasin pour faire ses courses. Les conséquences de ces transformations sont énormes et l’immobilier s’y adapte très vite. Mais la crise sanitaire a révélé aussi les limites du virtuel. En effet, même sans portes, la ville de demain est avant tout une ville en présentiel avec des humains qui se rencontrent, se déplacent et trouvent tout ce dont ils ont besoin à proximité des espaces verts. À l’échelle du climat, le secteur immobilier est en action, un puissant levier en mouvement pour adapter nos villes, en faire des lieux d’activité et de vie de qualité, en harmonie avec leur environnement. »
Olivier Carrette : « Nous vivrons désormais dans un monde où les gens seront bien plus mobiles, déménageront beaucoup plus souvent et ne voudront plus s’endetter sur 20/30 ans pour acquérir un bien. En conséquence, ils seront plus souvent locataires que (co)propriétaires. À Bruxelles déjà, 50 % des occupants sont propriétaires et 50 % locataires. En Wallonie et en Flandre, on tourne aux alentours de 75 % de propriétaires et 25 % de locataires. Le secteur de l’immobilier devra s’adapter à cette tendance et proposer une offre qui y réponde. La ville de demain est en effet une ville de services en tous genres, y compris en matière immobilière. »
Peter De Durpel : « La ville de demain a également besoin d’une infrastructure qui peut tout absorber. Nous accusons un grand retard en matière d’infrastructures de mobilité mais surtout d’infrastructures souterraines. Partout, on constate des fuites dans les grandes conduites d’eau. Pour l’égouttage et les réseaux de chaleur, il y a deux freins principaux. Premièrement, il s’agit des investissements. Effectivement, la pandémie nous a cependant appris que quand c’est urgent, il y a toujours moyen de débloquer des fonds. Deuxièmement, à l’image de ce qui se passe avec les copropriétés, un individu ou une société peut bloquer les investissements d’infrastructure dans une ville. Chacun a des droits et libertés, mais si ce n’est pas dans l’intérêt de la communauté ou de la société, il faut pouvoir débloquer cela. »