Hausse de la quotité exemptée d’impôts, restriction du champ d’application du régime des droits d’auteur, durcissement du régime des RDT, bouleversement de la fiscalité des revenus du patrimoine… Le vaste projet de réforme fiscale de Vincent Van Peteghem, vice-Premier ministre et ministre des Finances, envisage de nombreux changements de taille. Actuellement sur la table du gouvernement, seront-ils pour autant adoptés ? Le point avec Denis-Emmanuel Philippe, avocat-associé au cabinet Bloom et Maître de conférences à l’ULiège.
À quoi s’attendre prochainement en termes de réforme fiscale ?
Denis-Emmanuel Philippe : « Depuis juillet dernier, plusieurs mesures sont sur la table du gouvernement, notamment celle liée au régime des droits d’auteur qui alimente les controverses. Le gouvernement entend restreindre le plus possible son champ d’application afin de mettre fin aux abus commis par certains contribuables. Ce régime était initialement destiné aux professions artistiques recueillant des revenus de manière irrégulière et aléatoire. Or, aujourd’hui, des architectes, consultants en marketing, concepteurs de logiciels informatiques, avocats et autres en font usage dans des situations très éloignées de l’objectif initial. »
Une autre mesure à l’étude est la refonte du régime fiscal des stock-options…
D.-E. Ph. : « La limitation du régime fiscal des stock-options fait effectivement partie des mesures reprises dans une note du ministre des Finances et qui doivent encore être discutées au sein du gouvernement dans le courant de ce mois de décembre. Une autre mesure est aussi dans le pipeline : elle pourrait impacter les holdings patrimoniales, en particulier celles qui détiennent des participations de plus de 2.500.000 € (dans des sociétés cotées) mais représentant une participation de moins de 10 % du capital. Actuellement, ces holdings bénéficient du régime des RDT (revenus définitivement taxés). »
La limitation du régime fiscal des stock-options fait partie des mesures reprises dans une note du ministre et qui doivent encore être discutées au sein du gouvernement.
« L’avantage est que les dividendes recueillis et les plus-values réalisées par ces holdings sont totalement exonérés d’impôt des sociétés. Nombre de riches familles belges détiennent ce type de structures. »
Comment le gouvernement compte-t-il s’attaquer à l’application de ce régime de RDT ?
D.-E. Ph. : « Il veut y mettre une condition : les actions (cotées) détenues par la holding doivent avoir la nature d’‘immobilisation financière’. Or, dans de nombreux cas, elles sont comptabilisées comme de simples placements de trésorerie. Par cette réforme, le gouvernement espère récupérer plusieurs centaines de millions d’euros. »
Qu’en est-il de l’arrêt tout récent de la Cour constitutionnelle concernant la taxe sur les comptes-titres ?
D.-E. Ph. : « On se souvient que la taxe sur les comptes-titres avait été annulée en 2019 par la Cour constitutionnelle. Le gouvernement Vivaldi avait ensuite décidé de revoir sa copie et de ‘ressusciter’ cette taxe. Beaucoup de recours en annulation ont été introduits mais la Cour les a rejetés, validant le nouveau dispositif dans sa quasi-totalité. Cela signifie que les titulaires de comptes-titres de plus d’un million d’euros devront désormais vivre avec cette taxe. Pour la petite histoire, les compagnies d’assurances belges qui commercialisent des produits de la branche 23 entrent dans cette catégorie et seront aussi soumises à cette taxe. »
Dans sa note de l’été dernier, le ministre des Finances a également évoqué une grande réforme fiscale qui toucherait aux revenus du patrimoine…
D.-E. Ph. : « Il envisage en effet que de taxer tous les revenus du patrimoine à un taux uniforme de 25 %, en ce compris les loyers, les dividendes et les intérêts. Toutefois, il n’y a pas d’accord politique à ce propos, le MR s’y étant vivement opposé à ce stade. Il y a donc peu de chance que cela passe sous cette législature. »
Une autre mesure a des chances d’aboutir : l’introduction d’un régime fiscal permettant aux travailleurs de participer aux capitaux propres de leur employeur de manière financièrement avantageuse.
« En revanche, une autre note du ministre, plus récente, prévoit une mesure qui aurait, à mon avis, plus de chances d’aboutir : l’introduction d’un nouveau régime fiscal permettant aux travailleurs de participer aux capitaux propres de leur employeur de manière financièrement avantageuse. Les employés pourraient ainsi recevoir des actions gratuitement sans payer d’impôts ; ils ne les paieraient que lorsqu’ils réaliseraient une plus-value lors de la revente de leurs parts. C’est un système assez avantageux… et plutôt révolutionnaire ! »
La note évoque encore d’autre mesures comme la suppression progressive du quotient conjugal ou l’imposition des cartes carburant. N’est-ce pas un peu trop ?
D.-E. Ph. : « Le but de toutes ces mesures est de financer une autre mesure phare : l’augmentation de la quotité exonérée d’impôt de 9.270 à 13.660 euros. Avec à la clef, une augmentation des salaires nets d’environ 1.000 euros par an. Cela coûterait quelque 3 milliards d’euros aux caisses de l’Etat. Il faut aller chercher l’argent quelque part. »