Entre les aspirations des collaborateurs et les réalités du terrain, un écart conséquent s’est développé et s’est amplifié avec la pandémie. Entretien avec Denis Pennel, Directeur Général de la World Employment Confederation.
Quelles sont les nouvelles attentes des travailleurs ?
Denis Pennel : « Tout d’abord, une volonté de liberté de choix dans l’exercice de leurs fonctions, y compris en termes de lieu de travail : en partie chez soi, en partie au bureau et/ou dans des espaces tiers… Mais aussi par rapport au temps de travail : à temps plein, à temps partiel, avec des horaires décalés, en adaptant son rythme de travail en fonction de ses besoins personnels.
Une autre grande tendance est liée à la volonté de retrouver de l’autonomie dans l’exercice du travail. En effet, de nombreux managers se plaignent du temps très important qu’ils consacrent à faire du reporting, au détriment des tâches essentielles de leur fonction. »
En quoi la crise du Covid a-t-elle contribué à accroître ce phénomène ?
D. P. : « La pandémie a permis le travail à distance, faisant prendre conscience aux travailleurs à quel point ils pouvaient gagner en liberté et en autonomie. Parallèlement, la notion de bien-être en entreprise est devenue une priorité essentielle. Conséquence : le nombre d’offres d’emplois vacants n’a jamais été aussi élevé en Belgique et dans d’autres pays européens. De même, sur une moyenne mondiale, 40 % des personnes actives pensent à changer d’emploi dans les 3 à 6 mois. Cela démontre que nous sommes clairement dans un marché du travail en plein bouleversement, avec de nouvelles attentes de la part des collaborateurs, mais qui sont insuffisamment satisfaites. »
Le constat dressé semble évident, pourtant il le paraît moins aux yeux des employeurs ?
D. P. : « Il serait d’abord judicieux de clarifier certains thèmes. Aujourd’hui, tout le monde parle du besoin de flexibilité sur le marché du travail, mais avec une compréhension différente. Pour l’individu, il s’agit davantage d’une notion de liberté et de choix quant à la répartition de ses horaires, tandis que pour l’entreprise, il s’agit plutôt d’adapter sa force de travail en fonction du carnet de commandes.
Sur une moyenne mondiale, 40 % des personnes actives pensent à changer d’emploi dans les 3 à 6 mois.
Un autre écart réside dans la notion d’autonomie, qui consiste plutôt, pour l’entreprise, en un concept d’agilité. C’est le cas également pour ce qui a trait à la formation professionnelle et au développement des compétences, où il existe une très forte attente de la part des individus. Or, on se rend compte que lorsqu’il s’agit de recrutement, les entreprises ont plutôt tendance à prospecter à l’extérieur, au lieu de considérer d’abord leur propre force de travail. »
Le modèle de management joue-t-il également un rôle ?
D. P. : « Certaines entreprises aimeraient faire revenir tous leurs collaborateurs au bureau à temps plein, car elles ont visiblement un manque de confiance dans la qualité ou la quantité du travail effectué à distance. Or, les chiffres de productivité pendant la pandémie contredisent complètement cette crainte.
Certes, une interrogation légitime des employeurs réside dans le fait que, si les collaborateurs ne reviennent pas au bureau, elle perd la diffusion de sa culture et l’interaction entre ses employés. Une solution de 100 % de télétravail ne me paraît donc pas souhaitable, mais revenir à une situation de 100 % sur site, où tous les collaborateurs doivent être présents aux mêmes heures du lundi au vendredi, n’est pas davantage à recommander. Il convient de trouver une solution hybride et flexible à mi-chemin entre les deux. »
Un autre malentendu qui semble persister, c’est la notion du sens au travail?
D. P. : « Cette notion regroupe tellement de compréhensions différentes, car chacun a sa propre vision du sens au travail. Je préfère parler de la place que les individus souhaitent accorder à leur travail. Diverses études démontrent qu’il y a toujours une valeur très importante accordée au travail, mais la pandémie a accéléré ce souhait d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. »
Que conseillez-vous aux entreprises pour combler ce fossé ?
D. P. : « Mon conseil essentiel est de ne pas essayer d’appliquer des règles qui soient les mêmes pour tout le monde. Ce système ne fonctionne plus aujourd’hui. Il convient de développer une politique plus individualisée. On observe une tendance à la consumérisation du travail : les individus souhaitent avoir du choix, de la liberté, et décider euxmêmes de la façon dont ils vont exercer leur travail en fonction de contraintes ou envies, exactement comme ils consomment des biens et des services. Le travail est devenu un style de vie ! La réponse n’est donc pas d’apporter un produit unique et standardisé, mais bien d’individualiser les solutions.
Certes, une telle démarche complique considérablement la tâche des DRH, mais c’est un passage obligé. Cela se fait déjà en termes de rémunération, de plus en plus personnalisées, mais les conditions de travail peuvent l’être aussi, tout comme la possibilité d’offrir différents types de contrats répondant à la diversité des attentes et des besoins des individus. »