Green Deal, Good Living et taxonomie européenne sont au centre de tous les débats dans le secteur immobilier. Dans le même temps, il est essentiel de maintenir des logements financièrement accessibles. Ces objectifs sont-ils compatibles ? Ans Persoons, Secrétaire d’État en charge de l’Urbanisme et du Patrimoine à la Région de Bruxelles-Capitale, et Olivier Carrette, CEO de l’Union professionnelle du secteur immobilier (UPSI), nous font part de leurs points de vue respectifs sur ces dossiers aux enjeux considérables.
Olivier Carrette
CEO
UPSI
Ans Persoons
Secrétaire d’Etat en charge de l’Urbanisme et du Patrimoine
Région de Bruxelles-Capitale
Quels éléments liés au secteur immobilier retiennent particulièrement votre attention parmi les réglementations sur la table ?
Ans Persoons : « L’isolation des bâtiments est l’un des éléments majeurs du Green Deal. Trois quarts de notre parc immobilier date d’avant 1945 et nécessite une meilleure protection thermique. En parallèle, nous devons freiner les énergies fossiles – mazout, gaz, etc. – et passer à des sources d’énergies renouvelables. Cette exigence s’inscrit dans notre nouveau règlement régional d’urbanisme (RRU) Good Living. Lié entre autres à la construction des bâtiments à Bruxelles, il vise à faciliter davantage les travaux d’isolation et le recours aux nouvelles formes de production d’énergie. En outre, nous avons aussi entrepris des actions pour octroyer des dispenses de permis pour des travaux ne touchant pas à l’aspect esthétique des quartiers : isolation de toitures et de façades arrière, installation de panneaux voltaïques en toiture et de pompes à chaleur dans les jardins, etc. Nous mettons tout en œuvre pour faciliter la vie des citoyens et des entreprises en vue de répondre aux exigences du Green Deal. »
Olivier Carrette : « Le Green Deal, les critères ESG et la taxonomie sont en eff et des sujets essentiels pour le secteur immobilier. Actuellement, environ 30 % des émissions de gaz à eff et de serre émanent des bâtiments. Notre responsabilité sociétale est donc énorme si l’on veut obtenir des bâtiments à consommation énergétique net zéro d’ici à 2050. Ces rénovations urgentes vont cependant nécessiter des investissements considérables, de l’ordre de 300 à 400 milliards d’euros. Toute la question est de savoir qui va les consentir. Aujourd’hui, 40 % des Bruxellois sont propriétaires de leur logement et 60 % en sont locataires, contre une moyenne de 70 % de propriétaires en Belgique. À terme, il faut maintenir des logements abordables pour tous. Du côté de l’UPSI, nous plaidons pour des rénovations en masse afi n d’atteindre les performances énergétiques demandées. »
Quels sont les freins à une telle ambition ?
O. C. : « Au-delà de savoir qui va payer, certaines mesures réglementaires devraient être revues par les politiques. Par exemple, il est absurde d’avoir des diff érences de normes obligatoires d’une région à l’autre du pays concernant la performance énergétique des bâtiments (PEB) ; un PEB ‘B’ est valable à Bruxelles, mais pas en Flandre, ni en Wallonie. Autre exemple : à Bruxelles, un promoteur immobilier qui abat un bâtiment de bureau pour y construire à la place un bâtiment résidentiel neuf et durable qui correspond à toutes les normes doit continuer à payer du précompte immobilier durant la phase d’obtention de permis de construction… pour un bâtiment inexistant ! Cela peut très vite monter à des centaines de milliers d’euros pendant quelques années. Une telle disposition n’est pas d’application en Flandre et en Wallonie, où il existe une exonération pour improductivité. »
A. P. : « Je suis heureuse de vous entendre dire que les logements abordables doivent être une priorité. C’est également la mienne et il est clair que les coûts liés à l’isolation et au recours à des énergies renouvelables ne doivent pas aff ecter les locataires et les propriétaires. À Bruxelles, il y a beaucoup de personnes aux revenus faibles dans ces deux catégories. Je plaide pour que le pouvoir public prenne en charge certaines rénovations via un système autre que les primes individuelles. Ceci exigerait d’agir de façon beaucoup plus collective dans certains quartiers et certaines rues, en compagnie d’entrepreneurs, pour proposer des solutions d’investissements adaptées. Actuellement, ceux qui parviennent à réaliser les investissements liés à la transition énergétique font souvent partie d’une classe socio-économique déjà relativement haute. »
Que souhaitez-vous encore pour une évolution favorable du secteur ?
O. C. : « « Nous avons souligné ici l’importance et la responsabilité qui est la nôtre de tous nous engager dans la voie de la durabilité en maintenant des logements financièrement accessibles. Cependant, pour rendre ces objectifs atteignables, il est essentiel d’accélérer l’octroi des permis. Il faudrait aussi revoir certaines mesures prévues dans le Good Living, notamment les normes d’habitabilité. Celles-ci obligent citoyens et entreprises à disposer désormais de superficies plus grandes par personne et de hauteurs minimales sous plafond plus importantes. Toute cela entraîne non seulement des coûts supplémentaires, mais surtout ne correspond pas à la demande d’une grande partie des Bruxellois qui désirent au contraire des logements plus petits avec un certain confort. Le pouvoir politique doit nous donner la possibilité de construire de tels logements. »
A. P. : « Nous avons encore d’autres objectifs, comme celui de mettre l’accent sur la rénovation et la reconversion des bâtiments pour éviter leur démolition. Jusqu’ici, on le faisait pour des raisons purement patrimoniales et architecturales ; aujourd’hui, nous devons le faire aussi pour des raisons environnementales. Pour le reste, je partage votre conclusion. Sous cette législature, nous nous sommes concentrés sur le nouveau RRU afi n d’obtenir une réglementation urbanistique répondant à toutes les exigences du Green Deal et de la ville de demain. À présent, notre action doit être mise sur une réforme du Code bruxellois de l’aménagement du territoire (CoBAT), afin de simplifier les procédures et délivrer les permis plus vite. Ces points sont aussi nos priorités. »