La société et les attentes des jeunes évoluent. Laurence Vanhée, chief happiness officer chez Happyformance, insiste sur la liberté donnée aux collaborateurs comme source de bonheur au travail.
Quels sont les défis majeurs actuels dans le monde des ressources humaines ?
Laurence Vanhée : « Ils sont quasiment les mêmes qu’il y a dix ans, à savoir l’attraction et la rétention des talents. En revanche, la façon d’agir a changé en raison des évolutions de la société. »
« Parmi celles-ci, il y a le fait qu’en Belgique, depuis 2015, il y a plus de gens qui quittent le marché du travail que de gens qui y entrent ; en 2020, on sera même à un rapport de sept qui quitteront pour trois qui y entreront. »
« Il est donc important de retenir les bons éléments. Autre tendance : certains talents – surtout parmi les jeunes – choisissent eux-mêmes leur employeur, et plus le contraire. »
« Ces jeunes n’ont plus, non plus, une approche orientée « CDI ». En France, par exemple, la durée moyenne d’un contrat à durée indéterminé est aujourd’hui de trois ans à peine. En outre, ils cherchent des responsabilités et une totale autonomie ou liberté dans la manière de gérer leur carrière. »
Ce sont là de fameux challenges…
L. V. : « Oui, d’autant plus que ces changements sont de plus en plus rapides et que, pour les RH, attirer puis retenir les talents coûte cher en formation. Les entreprises sont aussi à la recherche de collaborateurs disposant bien plus de traits de caractère spécifiques que d’une formation initiale. »
Le rôle de l’employeur est de créer les conditions pour que chaque collaborateur qui en a envie puisse cultiver son bonheur au travail.
« De ce fait, les trajets d’intégration et de formation sont aussi plus longs qu’auparavant. Pour donner envie à une personne de travailler dans une entreprise, les ressources humaines et le management doivent s’adapter. »
Comment par exemple ?
L. V. : « Avant, les ressources humaines passaient énormément de temps à rédiger des descriptions de fonctions. Aujourd’hui, celles-ci évoluent tellement vite que cela ne sert presque plus à rien. »
« Ce qui compte, c’est que les missions qui seront confiées au talent soient extrêmement claires pour le laps de temps pendant lesquelles elles seront exercées. On se situe plus sur des appels à volontaires, en mode projets, avec une transversalité dans l’organisation et une gestion du temps et des ressources disponibles la plus fluide possible pour coller à la réalité. »
« Autre changement de taille à signaler : on implique beaucoup plus les collaborateurs dans le processus de recrutement, en leur demandant par exemple s’ils connaissent des personnes adéquates pour occuper certains postes vacants. D’une manière générale, on est aussi plus dans le dialogue et le travail d’équipe que dans l’esprit de compétition interne. »
Le monde académique prépare-t-il suffisamment les jeunes à ce nouveau paradigme ?
L. V. : « Il y a un problème d’adéquation entre la formation des jeunes et les besoins des organisations, qui continuent cependant souvent à chercher des moutons à cinq pattes. Bien que les écoles secondaires, supérieures et universitaires fassent énormément d’efforts, elles ont toujours un retard prononcé par rapport à la réalité du marché. »
« Les entreprises cherchent de plus en plus des personnes ayant des compétences relationnelles, de travail d’équipe, de transversalité, d’agilité, d’esprit critique et pouvant apporter leur savoir-faire sur des modules relativement courts. Plus que du contenu, les écoles doivent développer ces nouvelles façons de travailler auprès des jeunes. »
Des jeunes qui cherchent aussi leur épanouissement via le travail…
L. V. : « Sur une carrière de 45 ans, on passe environ 71 000 heures au travail. Autant donc cultiver le bonheur dans les différents pans de sa vie ! Bien qu’il s’agisse là d’une notion extrêmement subjective, le rôle de l’employeur est de créer les conditions pour que chaque collaborateur qui en a envie puisse cultiver son bonheur au travail. »
Bien que les écoles secondaires, supérieures et universitaires fassent énormément d’efforts, elles ont toujours un retard prononcé par rapport à la réalité du marché.
« Et la première condition, c’est de donner à chacun de la liberté et la possibilité d’un équilibre vie privée/vie professionnelle. Cette liberté se traduit dans le choix du lieu, du temps et des outils de travail, ainsi que dans le rôle de chacun – volontaire plutôt que désigné – et la variété de services mis à la disposition des collaborateurs, comme un service de babysitting ou de repassage de linge. »
« En échange de cette liberté, l’entreprise demande des personnes réellement responsables, sans quoi c’est le chaos assuré ! »
Cela ne demande-t-il pas aussi une profonde remise en question de la fonction RH ?
L. V. : « Effectivement ! Celle-ci doit muter pour optimiser le bonheur des clients et des collaborateurs. Un collaborateur heureux fera un client heureux, qui parlera de la société positivement autour de lui. »
« En définitive, les actionnaires seront également heureux et auront tendance à réinvestir, à lâcher la bride, à faire confiance. Les collaborateurs pourront ainsi retrouver des conditions de travail encore meilleures. On entre alors dans un cercle vertueux. Tout le contraire de ce que l’on a vécu jusqu’à présent ! »