Selon Olivier de Wasseige, Administrateur délégué et Directeur général de l’Union Wallonne des Entreprises, la situation de nos sociétés risque de se détériorer encore fortement en 2020 et 2021. Il exhorte les autorités publiques à engranger des réformes à court et à long termes.
Texte : Philippe Van Lil – photos : UWE
Quelle est la situation actuelle de nos entreprises ?
« Mon regard est teinté d’une certaine anxiété car la situation est difficile. Le déconfinement a amélioré la situation mais, d’après notre dernière enquête, nos entrepreneurs ont perdu une partie de leur optimisme. Moins d’investissements seront consentis dans les mois à venir ; il y aura probablement plus de personnes licenciées que prévu ; les engagements envisagés ne pourront pas tous se faire. Dans les contacts que nous avons avec les entreprises et les bureaux d’avocats, nous constatons aussi que le nombre de ‘procédures de réorganisation judiciaire’ explose en ce moment. Si une telle procédure permet d’éviter la faillite grâce à un refinancement ou un apurement des dettes, la crise actuelle ne permettra cependant pas de trouver facilement de nouveaux investisseurs. »
On prévoit 35 000 à 45 000 pertes d’emploi en Wallonie dans les années à venir, dont environ 15 000 cette année.
De quelles prévisions chiffrées dispose-t-on ?
« On s’attend à une perte moyenne de 10 % du chiffre d’affaires pour l’ensemble de l’année prochaine. Cela se traduira probablement par une explosion du nombre de faillites, qui variera en fonction des aides éventuellement accordées. Dans ce cadre-là, le moratoire sur les faillites a reporté le traitement de toutes les ‘faillites naturelles’ qui auraient dû se produire avant et durant la crise. On prévoit aussi 35 000 à 45 000 pertes d’emploi en Wallonie dans les années à venir, dont environ 15 000 cette année. Ceci augmenterait à terme de quelque 20 % notre taux de chômage, ce qui serait évidemment une catastrophe ! Au final, tout cela signifie aussi que nous reviendrions à la situation de 2014 et que tous les efforts des six dernières années pour diminuer le taux de chômage seraient anéantis. »
Quels sont les secteurs les plus touchés ?
« L’aéronautique, le commerce de vêtements, l’événementiel, les agences de voyage, les traiteurs et l’Horeca sont durement touchés. Des plans wallons se mettent néanmoins en place pour les aider, comme les 50 millions d’euros débloqués il y a quelques jours par le gouvernement wallon pour certains secteurs. À côté de ça, d’autres secteurs comme le commerce alimentaire ont bien repris. Autre note positive : nombre de personnes qui ont perdu leur emploi depuis le début de la crise seront réengagées à court terme, dans les entreprises se relevant rapidement de la crise. »
Quelles solutions préconisez-vous en sortie de crise ?
« Nous avons proposé 35 mesures à court terme, que l’on peut trouver sur notre site Internet (www.uwe.be/mesures-court-terme). Elles ont été soumises aux gouvernements wallon et fédéral pour leur indiquer ce qu’ils pouvaient faire rapidement pour sauver nos entreprises. Elles ont peu d’impact budgétaire et ne nécessitent pas de grandes réformes politiques sous la forme de décrets ou de lois. Nous demandons notamment de prolonger et d’augmenter les aides à l’emploi afin de conserver plus facilement les travailleurs voire de les réengager plus vite. Autre demande : stimuler les exportations et les aides à l’investissement, notamment en recherche et développement, afin de trouver de nouveaux produits et services et de nous différencier. »
Certaines de ces revendications ne sont pas neuves…
« Effectivement, mais nous en demandons une accélération et une intensification significatives temporaires à très court terme. Là où l’on demandait par exemple 10 % de prime à l’investissement avant la crise, nous en demandons aujourd’hui 20 ou 30 % pendant quelques mois. Il ne faut toutefois pas aider les entreprises qu’en leur donnant de l’argent ! On épuiserait ainsi les budgets publics et on aggraverait trop le montant de la dette, ce qui n’est pas sain. À côté de ces mesures à court terme, des réformes structurelles sont nécessaires, et nous les proposerons fin septembre sous la forme d’un plan de redéploiement. La gestion de la Wallonie doit être réformée, tant dans ses politiques d’emploi, qui doivent être plus efficaces, que d’innovation, qui doit plus se spécialiser en termes de domaines de recherches. Il faut aussi revoir nos modèles économiques. »
Quels types de réformes proposez-vous ?
« Cela passe notamment par une partie en réindustrialisation et une partie en circuit court, par une réorganisation de tout le paysage de l’animation économique et de la mise à l’emploi, par une politique d’investissement de la Région wallonne générant de réels retours, par une utilisation des fonds européens Feder et FSE dans des projets structurants et non en vue de construire des ronds-points ou de rechercher des équilibres sous-régionalistes. La rénovation des bâtiments publics doit par exemple être une priorité pour diminuer la facture énergétique de la Région et contribuer à atteindre les objectifs climatiques de Paris, tout en donnant du travail aux secteurs concernés. D’ici là, nous recommandons aux entreprises de bien travailler sur leurs finances et leur solvabilité, de bien repenser leur stratégie, notamment en termes d’importations, d’exportations, d’innovation et de recherche, de prolongation du télétravail et de sécurité informatique. »