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Digital Transformation

L’équation complexe entre innovation, éthique et régulation

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Levier de croissance incontournable, la transformation numérique confronte cependant la Wallonie à des défis majeurs. Entre la nécessité d’innover pour rester compétitif sur la scène mondiale, le poids d’un cadre réglementaire parfois contraignant et l’impératif de développer un numérique éthique et inclusif, les entreprises et les décideurs politiques cherchent le juste équilibre.Le point sur ces enjeux avec Clarisse Ramakers, Directrice générale d’Agoria Wallonie, et Emmanuel Mewissen, CEO de l’entreprise technologique Gaming1.

Emmanuel Mewissen

CEO de Gaming1

Clarisse Ramakers

Directrice générale d’Agoria Wallonie

Pour la Wallonie, la transformation numérique n’est pas une option, mais une condition de survie et de prospérité. Clarisse Ramakers en souligne d’emblée l’importance dans un contexte de coûts salariaux élevés : « L’innovation est le principal levier permettant aux entreprises régionales de se distinguer. C’est particulièrement vrai dans le secteur du digital, où le marché n’est pas local mais mondial. Se différencier par la technologie et la créativité est donc crucial. »

Emmanuel Mewissen abonde dans ce sens : « Active dans l’e-commerce et le jeu en ligne, Gaming1 est en compétition directe avec les meilleures sociétés du monde. Cette réalité nous impose une course permanente à l’excellence technologique. Cela se vérifie par exemple dans la fabrication des plateformes, l’intégration de l’intelligence artificielle et le développement de services agiles. »

Le talent, nerf de la guerre et défi majeur

Qui dit innovation, dit capital humain. Or, la Wallonie, comme beaucoup d’autres régions, fait face à une pénurie de talents dans le secteur du numérique. «  Un des problèmes soulevés est le décalage entre les formations académiques et les besoins réels et immédiats des entreprises », estime la directrice générale d’Agoria Wallonie. « Entre le moment où on considère qu’un programme doit être développé dans une haute école ou une université et le moment où il voit le jour, cela prend en général deux ans. Sur un tel laps de temps, la technologie a déjà beaucoup évolué. »

Sans la capacité de générer de la richesse, le cercle vertueux qui lie la prospérité des entreprises au financement de projets sociétaux, à la formation et à la rétention des talents risque de se briser.

Cette situation oblige les entreprises à devenir des acteurs de la formation à part entière. Chez Gaming1, par exemple, la formation en interne est une pratique courante, notamment lors de l’onboarding, autrement dit l’intégration de nouveaux collaborateurs. «  Les entreprises doivent de plus en plus former leurs travailleurs sur le terrain. La formation continue est également devenue essentielle pour rester à la pointe », relève le CEO de l’entreprise liégeoise. « C’est pourquoi des initiatives comme le projet Tumo à Liège, qui vise à donner le goût des métiers du digital aux jeunes de 12 à 18 ans, sont fondamentales pour préparer l’avenir. »

La régulation, entre protection nécessaire et frein à la compétitivité

La régulation est le point de tension principal. Si personne ne conteste la nécessité d’un cadre pour protéger les consommateurs et assurer une concurrence loyale, sa mise en œuvre est souvent critiquée pour sa lourdeur. Emmanuel Mewissen déplore que « trois quarts du temps de nos développeurs sert à se conformer aux règles des régulateurs. De surcroît, les règles diffèrent selon les pays où notre entreprise opère. »

Clarisse Ramakers ajoute que si le cadre réglementaire européen, comme l’AI Act, part d’une intention louable, il se traduit souvent par une charge administrative importante  : «  Les obligations liées au reporting et à la collecte des données, par exemple, pèsent sur la compétitivité des entreprises européennes par rapport à leurs concurrentes internationales. L’Europe a tendance à sur-réguler, là où d’autres puissances, comme les États-Unis, soutiennent massivement leurs champions technologiques. Le risque est de freiner l’innovation locale et de ne pas se battre à armes égales. »

Une distorsion de concurrence criante

Cette tension entre régulation et innovation n’est pas qu’un débat théorique. Elle a des répercussions concrètes et quotidiennes sur l’écosystème wallon. Emmanuel Mewissen illustre ce déséquilibre par un exemple frappant : « Alors que notre société, régulée, se voit interdire la publicité sur des plateformes comme Facebook, ces mêmes réseaux sociaux permettent la promotion de sites de jeux illégaux. Cela crée une distorsion de concurrence flagrante. »


L’innovation est le principal levier permettant aux entreprises régionales de se distinguer. C’est particulièrement vrai dans le secteur du digital, où le marché n’est pas local mais mondial.

De surcroît, ce handicap réglementaire s’ajoute à d’autres défis structurels, comme le coût du travail et de l’énergie  : «  Ces défis fragilisent la position des entreprises locales face à des concurrents internationaux moins contraints. Le contraste est d’autant plus saisissant face à une posture américaine résolument protectionniste, où les géants du numérique sont défendus comme des atouts stratégiques nationaux. Sans la capacité de générer de la richesse, le cercle vertueux qui lie la prospérité des entreprises au financement de projets sociétaux, à la formation et à la rétention des talents risque de se briser. »

L’éthique et la responsabilité comme piliers du modèle

Face à ces challenges, l’éthique ne doit pas être perçue uniquement comme une contrainte, mais comme un véritable axe de différenciation, insistent nos deux interlocuteurs. Opérant dans un secteur sensible, Gaming1 en a même fait une priorité stratégique. L’entreprise a développé un outil baptisé « Robin » pour « Risky Online Behaviour Indicator » ; basé sur l’IA, il permet de détecter les comportements de jeu problématiques et d’intervenir de manière préventive.

« Cette approche proactive est la meilleure réponse aux dérives potentielles du numérique », poursuit-il. « Il s’agit d’éduquer et de protéger le joueur plutôt que tomber dans une sorte de tentation liberticide de tout interdire. Cette dernière option ne ferait que renforcer les opérateurs illégaux qui, eux, n’offrent aucune protection. Bien utilisée, la technologie est un outil de protection et de responsabilisation. »

Vers une souveraineté numérique et une inclusion réussie

Au-delà du monde de l’entreprise, les enjeux de la transformation digitale touchent à la souveraineté stratégique de la Wallonie et de l’Europe. « Pour ne pas dépendre entièrement de technologies étrangères, il est vital de maîtriser la chaîne de valeur. Ceci inclut les données, qui constituent une richesse essentielle dans le contexte international actuel  », relève Clarisse Ramakers. «  Cela implique une réflexion sur la localisation des data centers, leur consommation énergétique et leur rôle dans la construction d’une autonomie stratégique. »

Parallèlement, la transition numérique ne peut réussir si elle laisse une partie de la population de côté. « La lutte contre la fracture numérique est un défi sociétal qui ne relève pas uniquement des entreprises. La mise à disposition d’espaces numériques publics, la formation des citoyens et l’intégration du numérique dès l’école sont des responsabilités collectives. Elles sont portées par les pouvoirs publics à travers des stratégies comme le Plan d’inclusion numérique wallon », note encore notre interlocutrice.

En conclusion, nos intervenants s’accordent à dire que « la voie wallonne vers une transformation numérique réussie passe par un dialogue constant et constructif entre le monde politique et les entrepreneurs ». Tous deux saluent d’ailleurs la bonne écoute du gouvernement actuel. L’enjeu est de taille : créer un cadre qui protège sans paralyser, qui stimule l’innovation locale tout en la gardant éthique et qui permet aux entreprises wallonnes de créer de la valeur et de l’emploi pour financer le modèle social de demain.

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