Conférencier et auteur d’ouvrages de référence sur le monde de l’entreprise, Fred Colantonio et ses coéquipiers conseillent de nombreuses organisations privées et publiques. Son objectif : les accompagner dans leurs démarches entrepreneuriales et d’innovation. Il nous parle de sa vision et des entraves souvent à l’œuvre en la matière.
À partir de quand peut-on parler d’innovation ?
Fred Colantonio : « Innover est avant tout une vue de l’esprit : iI n’y a pas de personnes innovantes, d’un côté, et des gens qui ne le seraient pas, de l’autre. L’histoire nous démontre que toutes les grandes innovations naissent avant tout pour répondre à un besoin ; elles fournissent le moyen de mettre fin à un manquement ou pour se retirer une épine du pied. Le meilleur contexte où fleurit l’innovation, c’est la contrainte. Celle-ci peut être interne à l’entreprise, en cas de manque d’efficacité par exemple, ou externe, entre autres lorsqu’un nouveau concurrent arrive sur le marché avec un produit similaire mais moins cher que le vôtre. Durant la crise sanitaire, par exemple, c’est bien pour répondre à un besoin urgent qu’en Wallonie, des chercheurs ont développé un nouveau système de diagnostic. »
Quels sont les freins à l’innovation ?
F. C. : « J’en identifie sept au sein des entreprises. Le premier est le fameux ‘On a toujours fait comme ça’. Évidemment, si on se bloque dès que quelqu’un propose une solution inhabituelle, cela ne favorise pas l’innovation. Le deuxième est de considérer que d’emblée on n’a pas le temps, le budget ou les idées. Pour entreprendre ou innover, on peut démarrer avec presque rien. C’est quand on commence à tester en situation réelle que les besoins de ressources augmentent. Le troisième obstacle, c’est lorsque qu’une entreprise considère qu’innover n’est pas dans son ADN, que celle-ci n’est ni dans sa culture ni dans son rôle. Or, l’innovation concerne potentiellement tous les types d’activités d’une société, comme la relation client ou le marketing. Les trois autres freins sont tous liés à l’une ou l’autre forme de peur. »
Le meilleur contexte où fleurit l’innovation, c’est la contrainte, qu’elle soit interne ou externe à l’entreprise.
Quelles sont ces peurs ?
F. C. : « La première est celle de l’échec ou du ridicule, le « ça ne marchera pas ! ». La deuxième est la peur d’y croire : « Si ces idées étaient vraiment bonnes, d’autres les auraient déjà mises en œuvre ! ».La troisième peur est liée au piège de la ‘grande idée’ : certains ne voudraient que des projets ayant un impact mondial ou des idées dignes d’un Steve Jobs ou d’un Elon Musk, le reste ne valant rien à leurs yeux. C’est à peine caricatural, tant nous les rencontrons au quotidien. »
L’innovation est-elle une question de méthode ?
F. C. : « Beaucoup de gens s’imaginent que l’innovation est un processus, alors qu’en fait, c’est plutôt une valse à trois temps. Le premier temps est celui de la transgression, où l’on identifie une nouvelle opportunité ou une solution à un problème. Le deuxième est celui du test pratique, auprès de clients par exemple. Le troisième est celui de la transmission, où l’on rassemble une communauté de clients ou d’utilisateurs qui rendront l’innovation viable. En pratique, cela ne se fait pas de façon linéaire. On passe et repasse d’un temps à l’autre en fonction des besoins : si vos tests ne fonctionnent pas, vous allez devoir identifier une autre idée transgressive pour adapter votre produit. Idem si la transmission fait défaut ou si la communauté d’usage ne se crée pas. »
Que faut-il encore pour innover ?
F. C. : « Les organisations doivent réunir quatre types de collaborateurs. En fonction de ses caractéristiques, chacun contribue au succès d’un projet. L’enthousiaste apporte les idées, la vision, et ne s’arrête pas aux contraintes techniques ou budgétaires. L’aventurier, souvent le chef de l’entreprise, saisit tout de suite le potentiel, même si l’idée n’est pas la sienne. Il en parle autour de lui et trouve les parties prenantes : investisseurs pour la financer et clients pour la rentabiliser. Le troisième est le ‘MacGyver’ de l’équipe, l’ingénieux qui réalise concrètement l’innovation sur le plan pratique. Enfin, le sceptique est l’acteur qui s’assure que le projet reste dans les clous, qu’il est tenable notamment sur les plans technique et budgétaire. Il ne faut pas le confondre avec le cynique ; ce dernier fait semblant de vouloir quelque chose, alors que ce n’est pas le cas. C’est lui le véritable adversaire de l’innovation ! »
La Belgique est-elle plus mal lotie que d’autres en termes d’innovation ?
F. C. : « On peut envisager nos faiblesses comme des forces et vice-versa. Par rapport à un pays comme la France, le fait d’être plus petit nous rend nécessairement plus agiles, plus collaboratifs et tournés vers l’extérieur. Nos défis sont la taille critique et la mise à l’échelle, afin qu’une initiative qui a démarré puisse décoller. Nous aidons nos clients à y parvenir. »
En résumé :
Les 3 temps qui composent la valse de l’innovation
– la transgression, où l’on identifie une nouvelle opportunité ou une solution à un problème
– le test pratique, auprès des clients par exemple
– la transmission, où l’on rassemble une communauté de clients ou d’utilisateurs qui rendront l’innovation viable