Dans son dernier Position Paper, l’Union Wallonne des Entreprises (UWE) plaide pour une industrie forte et durable. Si elle reste une composante importante de notre tissu économique, celle-ci est devenue relativement marginale par rapport au secteur des services. Pour Pierre Mottet, Président de l’UWE, réindustrialiser passe notamment par un nouveau regard porté sur le monde de l’industrie.
Pourquoi réindustrialiser la Wallonie ?
Pierre Mottet : « Si l’industrie n’est évidemment pas le seul facteur de création de richesse, elle est néanmoins un facteur extrêmement structurant. Quand une activité industrielle s’implante quelque part, toute une branche d’activités avec des sous-traitants se développe. Ce dynamisme se traduit aussi par une hausse des exportations. Il y a un siècle environ, l’industrie wallonne représentait 40 % de notre PIB. Aujourd’hui, elle est descendue à une douzaine de pourcents. Pour assurer un bon équilibre de l’économie, il faudrait remonter à 25 %. »
Les industriels sont les premiers supporters d’une réglementation, pour autant qu’elle soit prise avec une approche proactive, attrayante et stable.
C’est d’ailleurs aussi l’un des objectifs du gouvernement wallon…
P. M. : « Effectivement, il s’inscrit dans le cadre de son plan de relance avec, en parallèle, l’objectif plus général d’augmenter le taux d’emploi à 70 %. L’ambition ne s’arrête d’ailleurs pas là : le rôle de l’industriel est à la fois de créer des jobs et d’avoir un effet d’entraînement sur les établissements de formation pour répondre aux besoins de main-d’œuvre. Pas mal de métiers sont malheureusement en forte pénurie actuellement. »
Les difficultés rencontrées durant la crise sanitaire, comme le manque de masques, ont-elles aussi joué un rôle de déclencheur dans cette volonté de réindustrialisation ?
P. M. : « Dépendre exclusivement de certaines filières situées au bout du monde est en effet un facteur potentiellement insupportable. Tous les industriels sont désormais conscients qu’ils ne peuvent plus dépendre d’une seule ligne d’approvisionnement. Rapatrier des activités en Wallonie, ou plus généralement en Europe, fait partie de la solution. En outre, les Américains comme les Chinois ont connu les mêmes problèmes et ils cherchent aussi des lignes d’approvisionnement en Europe. Toutefois, il ne faut pas devenir simpliste : tout ramener chez soi n’est pas la seule solution. Si vous n’avez pas d’avantage concurrentiel et un solide business model, ça ne tiendra pas la route, volonté politique de relocalisation ou pas. »
Sur quels piliers dès lors s’appuyer pour une réindustrialisation durable ?
P. M. : « Il faut s’appuyer prioritairement sur les avantages dont notre région dispose. On a d’abord une main-d’œuvre extrêmement bien formée. Nous avons ensuite des filières industrielles d’excellence, avec des compétences et une expérience prouvées à l’international : le pharma, l’aéronautique, etc. Autre atout : la Wallonie dispose encore de beaucoup d’espace, ce que le nord du pays nous envie, de même que beaucoup d’infrastructures et de supports de financement. »
Dépendre exclusivement de certaines filières situées au bout du monde est un facteur potentiellement insupportable.
Comment les pouvoirs publics devraient-ils agir par rapport aux investisseurs potentiels ?
P. M. : « Ils doivent avoir une attitude incitative et bienveillante. Même s’il existe beaucoup d’incitants à l’investissement, les entrepreneurs qui se lancent dans une activité industrielle sont encore trop souvent regardés avec méfiance. Clairement, on préfère qu’ils aillent développer leurs activités ailleurs, en raison par exemple de croyances erronées sur l’impact environnemental de celles-ci, alors même que l’industrie n’a jamais été aussi peu impactante et aussi attentive à l’environnement qu’aujourd’hui. »
À cet égard, certaines réglementations ne constituent-elles pas un frein ?
P. M. : « Un industriel doit parfois en effet attendre par exemple 6 ans pour obtenir un permis de construire une éolienne, alors qu’il entend s’aligner sur les objectifs de développement durable du gouvernement. À un moment donné, il faut avoir une approche claire et cohérente. Les industriels sont les premiers supporters d’une réglementation, pour autant qu’elle soit prise avec une approche proactive, attrayante et stable. C’est le principe même d’une bonne gouvernance. Aujourd’hui, la politique de l’énergie plonge les industries dans des situations à problèmes par rapport aux zones frontalières, sans même parler de concurrents plus lointains. Ceci est d’ailleurs également vrai sur le plan fiscal, où le cadre devrait être aussi plus attrayant et raisonnablement stable. »
Plus globalement, ne faudrait-il pas aussi faire évoluer les mentalités ?
P. M. : « On doit effectivement avant tout réhabiliter l’image de l’industrie dans l’esprit des gens, en lui redonnant ses titres de noblesse. Quand on parle d’industrie, beaucoup pensent encore à de vieilles usines qui fument. De nos jours, l’industrie, ce n’est plus ça du tout ! De plus, dans notre pays, même si elle ne se résume pas à cela, l’industrie se focalise souvent sur les hautes technologies. »
Position Paper
« Un écosystème industriel durable dans un monde qui évolue ». Le Position Paper publié par l’UWE en Avril 2023 propose un cadre de réflexion axé sur 5 priorités (Prospérité territoriale et sociétale, Emploi, Environnement & Climat, Innovation & Investissement, Gouvernance & Administration) et décliné en 13 thématiques. Elle recense également 47 propositions concrètes pour l’avenir du secteur.