Le licenciement à distance fait aujourd’hui parfois polémique. Tout à fait légal, il doit néanmoins se faire dans des conditions optimales qui respectent la dignité des travailleurs. Les conseils avisés de Christine Thioux, Administratrice-Directrice de A-Th & Associates.
Texte : Philippe Van Lil
Christine Thioux
Administratrice-Directrice
A-Th & Associates
Le licenciement à distance est-il légal ?
Christine Thioux : « Il l’est parfaitement à condition qu’il ait été notifié et justifié par écrit, selon les prescriptions et dans les temps prévus par la loi. L’entretien de licenciement n’est en revanche pas du tout obligatoire sur plan légal mais vivement recommandé sur le plan humain. Tout licenciement est émotionnellement très difficile : pour la personne qui reçoit l’annonce, mais aussi pour celle qui doit licencier. »
Sauvegarder la dignité d’un collaborateur licencié, c’est surtout décider d’un management plus humaniste, ce dont notre système a besoin !
« Personne n’a envie d’être l’oiseau de mauvais augure ! Parce qu’il est éprouvant, l’entretien de licenciement est souvent mal géré, écourté, justifié par des raisons laconiques… voire tout simplement évité ! »
Avec quelles conséquences ?
C. T. : « Tout cela a un effet souvent dévastateur. Le choc du licenciement est alors couplé à un sentiment de non-respect pour le travailleur. Il ne se sent plus considéré dans son identité, son apport à l’entreprise, son histoire avec elle… parfois dans sa personne en tant qu’être humain. Lorsqu’il est exacerbé, ce sentiment d’injustice empêche le travailleur de rebondir rapidement. »
« À contrario, un entretien bien préparé, tant sur le contenu que sur la forme, tant dans la justesse du propos qu’à l’égard du respect qui y est associé, aide la personne à une remise en question bénéfique et à retrouver le chemin du travail Les entreprises ont coutume de prendre soin de leurs recrues ; elles ont tout à gagner à prendre soin de leurs départs. »
« Ceci constitue aussi une marque de respect vis-à-vis du personnel interne, qui voit ainsi partir correctement ses collègues. Sauvegarder la dignité d’un collaborateur licencié, c’est surtout décider d’un management plus humaniste, ce dont notre système économique a largement besoin ! »
Que conseillez-vous aux entreprises pour humaniser au mieux leurs entretiens ?
C. T. : « Faites l’exercice du ‘changement de chaise’ pour provoquer l’empathie ! La personne qui licencie doit se demander ce qu’elle souhaiterait entendre et ce dont elle aurait besoin si elle était à la place du travailleur. En pratique, ne fuyez pas les émotions de votre interlocuteur, écoutez ses réactions, encouragez-le à s’exprimer, respectez ses silences… Une telle annonce peut provoquer de multiples scénarios : pleurs, tristesse, désespoir, colère, cynisme, indifférence… mais aussi parfois un soulagement. »
Il est préférable que le message passe par le supérieur hiérarchique direct du travailleur et pas seulement par le responsable des ressources humaines.
« Le manager doit se préparer à tous ces cas de figure, y compris à communiquer non pas sur le licenciement lui-même mais sur les émotions dégagées par le travailleur lors de cet entretien. On peut aussi proposer au travailleur un second entretien dans les jours qui suivent pour vérifier son aspect émotionnel. Il ne faut pas non plus oublier de communiquer rapidement avec les équipes dont le collègue a été impacté et de proposer une aide immédiate au travailleur licencié, par exemple sous la forme d’un coaching en outplacement. »
D’autres conseils ?
C. T. : « Il faut être attentif à qui licencie. Il est préférable que le message passe aussi par le supérieur hiérarchique direct du travailleur et pas seulement par le responsable des ressources humaines. Pour rebondir, la personne licenciée a besoin d’entendre les arguments de son chef qui l’a vue travailler, qui a pu l’évaluer. Autre conseil : choisissez plutôt le tout début ou la fin de journée pour annoncer une telle nouvelle. »
« Généralement plus calmes, ces moments sont plus propices à la discussion.Il est aussi recommandé de ne pas tourner autour du pot et d’annoncer le licenciement dès l’entrée de l’entretien. Après quoi, il faut argumenter de manière claire et factuelle les raisons de cette décision, avec des exemples concrets à la clé. En cas de licenciement individuel, le motif flou de ‘réorganisation’, si souvent évoqué, ne permet pas à la personne de comprendre. »
L’entretien de licenciement à distance ne complique-t-il pas les choses ?
C. T. : « L’essentiel n’est pas la vidéo… mais le travailleur lui-même ! Dénoncer la pratique de la vidéo dans un entretien de licenciement, c’est accorder trop d’importance à ce filtre. L’enjeu crucial d’un tel entretien est de sauvegarder la dignité de la personne licenciée, quel que soit le média. Que l’entretien soit présentiel ou virtuel, la gestion du contenu est identique ! En revanche, la gestion des émotions est différente ; la vidéo laisse a priori moins de place à l’expression des affects. L’art du manager sera de les détecter malgré tout, en les questionnant sans tabou et en les respectant avec sincérité. »
« Dans certains cas, la vidéo peut même s’avérer productive humainement parlant : la distance physique permet au manager de mieux se centrer sur son message et ses attitudes, voire d’amoindrir son propre stress pour être plus présent à l’autre. »