La rénovation urbaine est considérée comme un des leviers majeurs pour atteindre la neutralité carbone. Sept experts de l’immobilier et un responsable politique se livrent à un état des lieux et partagent leur vision sur la ville de demain.
Photos : Kris Van Exel
L’immobilier joue un rôle majeur en matière de durabilité. Quelles tendances actuelles significatives peut-on dégager ?
Rudi Vervoort : « Un des défis les plus importants réside dans l’âge moyen du bâti bruxellois, d’où la difficulté de rénover et d’atteindre un standard de qualité qui permette de sortir d’une série de situations complexes au niveau énergétique. Comment encourager cette rénovation, mais aussi donner la capacité aux propriétaires de réaliser ces travaux indispensables et de créer les mécanismes incitatifs, en ce compris pour les propriétaires non occupants qui louent leur bien ? La Région met en place différentes mesures budgétaires, avec un budget de 350 millions consacré à la rénovation. Reste évidemment l’enjeu – qui est l’élément déterminant – d’arriver à une cohésion du modèle socio-économique, à savoir comment amener les populations plus fragiles à avoir la possibilité de rénover ? Et ce, d’autant plus dans le contexte actuel. D’où la nécessité impérative d’une réflexion plus profonde concernant une répartition plus égalitaire. »
Olivier Carrette : « Il est toutefois important de faire une distinction entre les différents segments (résidentiel/bureau/retail/ logistique), car la dynamique est différente pour chacun d’eux. Les professionnels de l’immobilier – que l’UPSI représente – doivent tenir compte du délai d’obtention des permis, des recours, de la fiscalité etc.
La rénovation urbaine dépasse largement le seul enjeu climatique. Elle permet aussi d’augmenter globalement la qualité de vie que la ville offre.
Sophie Lambrighs
En ce qui concerne Bruxelles, il y a de moins en moins de propriétaires : la proportion actuelle tourne autour de 40 % de propriétaires pour 60 % de locataires, une donnée qui doit être prise en compte. Nos membres promoteurs immobiliers en prennent bien conscience, car, de plus en plus, de grands ensembles d’appartements sont développés. Le domaine de la location se professionnalise d’ailleurs toujours davantage, au vu de la complexité rencontrée dans les trois régions du pays, car tout se tient au niveau des règlements et démarches, une obligation en entraînant une autre. D’où l’importance que toutes les nouvelles législations en matière d’immobilier soient développées dans le consensus. »
Michel Van Geyte : « La rénovation a le vent en poupe. Néanmoins, cette tendance actuelle n’est pas sans limites techniques ou urbanistiques. Il n’est pas toujours possible de transformer un bien immobilier vers la nouvelle fonction désirée. De plus, certains bâtiments de bureaux n’ont aucune valeur architecturale particulière. Il vaut donc mieux les démolir, en sachant évidemment recycler au maximum les matériaux, pour construire un bâtiment neuf avec des matériaux beaucoup plus écologiques. Vouloir rénover à tout prix n’est pas tenable. »
Filip De Bois : « Aujourd’hui, tout le monde se sent concerné par la durabilité, ce qui est très positif. Investisseurs et promoteurs veulent agir, et ce, de différentes manières : rénover, redévelopper avec des matériaux recyclables, densifier et optimaliser. En tant que société immobilière privée, nous sommes très concernés par cet aspect durable. Mais il y a encore beaucoup de discussions en cours avec les experts sur la valeur de nos investissements dans les années à venir. Comment va-t-on évaluer un bâtiment répondant à tous les critères de durabilité, comparé à un vieux bâtiment pas rénové ? Or, il convient de faire une distinction entre les bâtiments qui sont déjà presque neutres en carbone et ceux qui ne le sont pas. À ce niveau, il manque encore des règles de référence qui soient les mêmes à travers les régions, et même dans toute l’Europe. »
Sophie Lambrighs : « Je pense que la rénovation urbaine dépasse largement le seul enjeu climatique. Elle permet aussi d’augmenter globalement la qualité de vie que la ville offre. La question de densité est cruciale : la ville grandit et la densité augmente. Il faut donc pouvoir, en rénovant la ville, améliorer la qualité, par exemple en proposant une certaine perméabilité entre l’espace public et l’espace privé des rez-de-chaussée. Tout cela passe par une importante rénovation urbaine, qui dépasse largement le simple fait d’isoler ou de changer une chaudière. C’est l’occasion de transformer certains éléments pour que tout le monde puisse en profiter. En agissant de la sorte, il devient possible de créer une certaine valeur d’usage dont le coût peut être contrebalancé par le fait, par exemple, de rajouter un étage au sommet du bâtiment. Bref, que ces scénarios créatifs permettent de financer ces investissements considérables.
Le fait que les locataires soient très nombreux dans les grandes villes peut aussi constituer une opportunité. En effet, un locataire est généralement moins attaché à un seul endroit. Pour que la rénovation urbaine soit efficace, il faut pouvoir vider des ensembles suffisamment grands pour obtenir un certain effet d’échelle dans les travaux et effectuer une rénovation qui ait du sens économiquement. »
Olivier Carrette : « En Flandre, à l’achat d’une maison ou d’un appartement, le propriétaire a l’obligation d’effectuer, endéans les 5 ans, une rénovation pour obtenir au minimum un PEB D. Une telle obligation devrait être la même dans toutes les régions, avec idéalement une aide du gouvernement, ou des incitants fiscaux, telle une réduction du précompte immobilier en fonction de la performance énergétique. »
Nicolas De Coster : « Le premier point indispensable est le changement de mentalité, que nous constatons effectivement chez nos clients. Un élément m’interpelle toutefois : ces 15-20 dernières années, on s’est focalisé essentiellement sur les performances énergétiques. Depuis quelques années, on parle beaucoup d’économie circulaire, mais ces deux sujets qui se veulent complémentaires peuvent de temps en temps entrer en contradiction. Ainsi, le contexte actuel très anxiogène, avec la guerre en Ukraine, la crise énergétique et climatique, nous fait replonger un peu trop dans le travers du tout focalisé sur l’énergie. Il ne faudrait pas oublier que le but est d’opérer une transition vers une économie circulaire, ce qui nécessite une vue plus holistique des problèmes afin de trouver les bons équilibres. Les règles toutes faites et trop dogmatiques risquent de nous faire louper le coche. Il convient plutôt d’analyser les choses au cas par cas, et par extension, d’étudier les cas particuliers se manifestant dans une ville qui se compose de strates d’âges différents. »
Rikkert Leeman : « Chez Alides, nous sommes sensibles au développement et à la revalorisation de nouveaux quartiers. C’est pour nous un choix stratégique. Nous sommes convaincus que le bâti existant a une valeur considérable et qu’elle doit être mise en évidence, d’abord en réfléchissant sur la réutilisation d’un bâtiment existant avant de le démolir, sans vouloir le maintenir à tout prix quand ça ne se justifie pas. Rénover coûte plus cher qu’une simple démolition/reconstruction. Si, en maintenant une structure dans le cadre d’un projet circulaire, le coût peut être compensé par une densification des surfaces à cet endroit, l’équilibre peut être maintenu. »
François Honoré : « Plus globalement, notre société est en train de changer de paradigme, qui passe de l’époque de la destruction créatrice à la transformation créatrice. Il faudra donc que le secteur dans son ensemble soit créatif et trouve des solutions pour tendre vers cet objectif, ce qui va nécessiter des solutions sur le plan de la mixité et de la densité. »
Pour vous, justement, la mixité fonctionnelle représente l’avenir du développement urbain ?
François Honoré : « Cette mixité entraîne une diminution des coûts énergétiques et sociétaux : les gens se déplacent moins, se rencontrent davantage, utilisent leur territoire de manière plus transversale. Ces projets mixtes, à l’échelle d’un quartier, peuvent donc être intéressants, non seulement financièrement pour les promoteurs grâce à une diversification des fonctions implantées (donc un plus grand potentiel de résilience en cas de déclin d’une fonction), mais aussi d’un point de vue environnemental et pour créer du bien-être pour les usagers (habitants, commerçants, étudiants, …). »
Sophie Lambrighs : « La mixité constitue un grand débat. Elle se gère évidemment au niveau d’une ville, mais il ne faut pas oublier tout l’aspect productif, qu’on a tendance à vouloir pousser en dehors. La mixité ne doit pas non plus devenir un dogme : certains projets sont suffisamment grands pour en accueillir, mais d’autres sont trop petits pour y développer une mixité qui ait du sens en termes de coûts et de fonctionnalité quotidienne. »
Arrêtons de développer des nouvelles constructions sur des terrains pas encore bâtis et concentrons-nous plutôt sur la rénovation et le redéveloppement de ce qui existe, c’est fondamental.
Filip De Bois
Nicolas De Coster : « Il faut en effet une certaine taille critique pour que la démarche soit pertinente, afin d’éviter les risques de tensions entre occupants et pour profiter à la cohésion sociale en générant des espaces communs d’une taille suffisante. »
Rikkert Leeman : « Les choses ne doivent pas seulement être envisagées au niveau du seul bâtiment, mais bien au niveau du quartier, voire de la commune. Et ce, dans un horizon de temps réaliste, pour réussir des développements qualitatifs qui restent économiquement viables pour toutes les parties. Ainsi, nous travaillons actuellement sur un plan d’aménagement à Gand où nous avons défini des volumes, des zones pour tout un quartier, avec autant de logements, de bureaux et de retail. »
Il est illusoire de vouloir développer systématiquement de la mixité de manière verticale : il faut penser à l’échelle du quartier la notion de ville du quart d’heure.
François Honoré
Michel Van Geyte : « Cette mixité est plus complexe à développer au niveau d’une grande ville ou d’une région, mais il est clair que plus personne ne veut revoir des exemples comme le Quartier Nord à Bruxelles, où il n’y a que des bureaux et aucune vie en soirée. Cela dit, force est de constater que même sur un site comme Tour & Taxis, qui est rénové en tenant compte de cette mixité, le défi reste ardu en termes d’exploitation et de commercialisation. »
Nicolas De Coster : « Parallèlement, avec l’augmentation des coûts de construction, le risque existe de passer à côté de l’objectif recherché, et de voir finalement les bâtiments être réservés aux couches les plus aisées, qui peuvent se le permettre. »
François Honoré : « Je rejoins Sophie Lambrighs à ce sujet : il est illusoire de vouloir développer systématiquement de la mixité de manière verticale (même si les projets ZIN dans le Quartier Nord de Bruxelles ou de Morland Mixité Capitale en bord de Seine à Paris sont exemplaires). Selon moi, il faut penser à l’échelle du quartier la notion de ville du quart d’heure. Nous avons mis en place un système analytique qui permet à un investisseur désireux de développer un projet résidentiel de savoir directement, en fonction du nombre d’habitants qu’il prévoirait dans son projet et en fonction des équipements préexistants, ce qu’il manque éventuellement sur le territoire pour renforcer ce projet. Ce qui a pour effet vertueux de susciter une cocréation entre promoteur, commune/région et usagers, afin qu’un maximum d’équipements manquants soient prévus de manière intelligente tout en préservant la rentabilité du projet. »
Filip De Bois : « Mais arrêtons de développer des nouvelles constructions sur des terrains pas encore bâtis et concentrons-nous plutôt sur la rénovation et le redéveloppement de ce qui existe, c’est fondamental. Car je constate parfois des paradoxes, où l’on fait la promotion de constructions présentées comme étant du dernier cri en matière de durabilité, alors qu’elles ont été édifiées sur un terrain qu’il a fallu au préalable déboiser pour pouvoir les construire ! Par ailleurs, dans une région comme Bruxelles, il faut repenser la fonctionnalité des parkings de supermarchés, qui peuvent compter jusqu’à 2.000 places, mais avec seulement un tiers d’occupation la majeure partie de la semaine, sauf le vendredi soir et le samedi. Il faut optimiser de tels espaces, c’est une plus-value pour la ville et les gens qui peuvent y habiter. Ainsi, il sera possible d’y développer une surface proposant des appartements, des bureaux, des magasins, etc. Et le potentiel est encore considérable à ce niveau-là dans la Région de Bruxelles-Capitale. »
Pour accélérer la rénovation urbaine, l’aspect fiscal et des réglementations cohérentes sont cruciales ?
Olivier Carrette : « C’est le nerf de la guerre ! Les mesures du gouvernement fédéral – réduire le taux de TVA à 6 % pour la démolition et la reconstruction – ont été prolongées jusque fin 2023, et une proposition de loi a été déposée au Parlement pour les prolonger jusque fin 2024, ce qui serait une excellente chose. Encore faut-il la volonté du politique pour les transformer en mesures définitives. Car des aberrations persistent, entre autres à Bruxelles, où un promoteur immobilier doit continuer à payer le précompte immobilier pendant le délai de démolition et de reconstruction d’un immeuble. Ce qui peut se monter entre 500.000 et 800.000 euros par an pour des grands ensembles. Quand on sait qu’en moyenne, la durée d’obtention d’un permis à Bruxelles est de 6 ans, cela signifie qu’un promoteur va payer des millions d’euros, simplement pour enrichir les caisses des communes ! Ce n’est pas logique. Qu’on ne me comprenne pas mal : le problème n’est pas de payer des taxes, mais à condition qu’elles soient justes et intelligentes. Ainsi, à Bruxelles, la Région a décidé de plafonner l’indexation des loyers résidentiels et commerciaux, mais pourquoi n’a-t-elle pas plafonné le précompte immobilier qui, lui, a doublé ? En tant que secteur privé, nous sommes prêts à prendre nos responsabilités, mais nous aimerions que le secteur public en fasse de même. »
Nous sommes convaincus que le bâti existant a une valeur considérable et qu’elle doit être mise en évidence.
Rikkert Leeman
Rudi Vervoort : « C’est effectivement tout l’enjeu de la lasagne institutionnelle de notre pays, avec des éléments du ressort du gouvernement régional et d’autres du ressort des communes. Tout le débat en cours par rapport à l’avenir institutionnel et aux possibles réformes qui devaient être initiées par ce gouvernement-ci constituent un chantier important. Vous parlez de la décision sur l’indexation des loyers, et il est vrai qu’elle était du ressort exclusif de la Région. Mais parallèlement, les communes se trouvent dans des situations extrêmement contrastées sur le plan financier. Certaines d’entre elles maîtrisent des flux budgétaires très conséquents par rapport aux autres communes. S’il y a bien un système injuste aujourd’hui en Belgique, c’est celui du revenu cadastral. Certaines maisons ont un rapport foncier qui ne correspond pas du tout à la valeur du bien. Il faudrait donc ramener un peu de justice fiscale à ce niveau-là. L’idéal serait d’avoir un pot commun de recettes fiscales à répartir équitablement. »
Rikkert Leeman : « Il faut parfois un certain pragmatisme pour trouver le juste milieu entre l’objectif, la réglementation et comment déboucher sur un compromis intelligent qui permette à toutes les parties concernées d’atteindre le résultat souhaité. Un exemple absurde en la matière : un projet de rénovation avec plusieurs niveaux souterrains, où la suppression d’emplacements de parking excessifs fait que deux des niveaux souterrains se retrouvent vides. On décide donc d’installer des emplacements pour vélos au niveau -1… mais la réglementation l’interdit, car elle exige que ces emplacements soient accessibles au niveau du rez-de-chaussée ! Résultat : une perte de mètres carrés nobles au rez-de-chaussée, pendant que la moitié du sous-sol existant est vide et reste sans fonction. Comment la gouvernance peut-elle déboucher sur de telles aberrations ? »
Avec l’intelligence collective, des filières de réemploi, de stockage, et des nouveaux métiers à créer peuvent être implémentés.
Nicolas De Coster
Rudi Vervoort : « Je partage votre analyse. Dans un tel cas, le mieux est l’ennemi du bien. La contestation entre les différents intervenants devient presque un réflexe à chaque fois qu’un projet est mis sur la table. Il y a clairement un équilibre à trouver entre la nécessaire régulation et la prise en considération des particularismes de chaque projet. »
Sophie Lambrighs : « Nous avons la sensation que ces divergences de vues entre les communes et la Région se sont exacerbées lors du transfert de compétences, où la majorité des permis sont passés à la Région. Les communes se sont alors senties dépossédées. »
Rudi Vervoort : « On ne s’est pas suffisamment rendu compte à ce moment-là qu’on déresponsabilisait les communes. En réaction, celles-ci mettent sur pied des comités de concertation pour avoir tout de même la possibilité de réagir par rapport à ces projets. Parallèlement, les réseaux sociaux jouent un rôle non négligeable en matière d’opposition aux projets. Tout cela étant à l’image d’une société qui se polarise de plus en plus. »
C’est un constat assez alarmant que vous dressez là en tant que responsable politique…
Rudi Vervoort : « Soyons clairs : on réalise régulièrement de belles choses, mais il faut pouvoir rester objectifs et garder un état d’esprit positif dans les projets, au lieu de dire non pour le plaisir de dire non. Ainsi, plusieurs promoteurs m’ont affirmé que certains échevins de l’urbanisme refusent de les rencontrer. De plus, les décisions du Conseil d’État complexifient parfois involontairement les choses, du fait du difficile équilibre à trouver entre la stricte légalité d’un projet et les réalités du terrain au quotidien. »
Il y a clairement un équilibre à trouver entre la nécessaire régulation et la prise en considération des particularismes de chaque projet.
Rudi Vervoort
Filip De Bois : « Pour en revenir à l’aspect fiscal, ce serait bien que les investisseurs qui ont beaucoup investi sur un bâtiment – panneaux solaires, isolation, etc. – ne soient pas soumis aux mêmes règlements que ceux en vigueur pour les vieux bâtiments, où rien n’est entrepris. »
Rudi Vervoort : « Ce projet a été mis sur la table, mais n’a pas encore pu aboutir jusqu’à présent. »
Michel Van Geyte : « La taxonomie européenne va provoquer un bouleversement conséquent. J’entends que tout le monde veut devenir plus durable, mais avec l’inflation et l’augmentation des prix, on risque de glisser vers une proportion de 30 % de propriétaires et de 70 % de locataires, contre 40-60 actuellement. Il y aura donc peut-être plus de professionnalisme institutionnel, mais je crains un peu que les loyers ne suivent pas. »
Rudi Vervoort : « La mixité fonctionnelle au niveau d’un quartier est très importante, mais le segment de logements qui en résulte n’est pas forcément accessible au commun des mortels en termes de loyers. Rénover est une très bonne chose, à condition de ne pas passer à côté de l’enjeu de mixité sociale du résidentiel. Dans la transition écologique, l’aspect environnemental doit aussi tenir compte de l’aspect économiquement abordable, sans quoi on s’expose inévitablement à des tensions sociales. »
François Honoré : « Il y a un impact sur les loyers, mais aussi sur la densité : ça devient plus compliqué pour un promoteur de commercialiser des appartements 3 chambres. Bien définir, en amont, la granulométrie (ex : le nombre de chambres) optimale d’un projet immobilier en fonction des besoins réels du marché est aujourd’hui indispensable. »
La lasagne institutionnelle de notre pays entraîne comme conséquence que chaque niveau de pouvoir se dégage trop souvent de ses responsabilités.
Olivier Carrette
Sophie Lambrighs : « Quand on parle d’accessibilité financière, il y a un élément essentiel contre lequel on doit tous lutter : c’est la notion de gaspillage. Éviter de gaspiller de l’espace et du volume disponibles, du temps, des matériaux… Il faut donc avoir une logique sur l’ensemble de la chaîne et mettre les moyens nécessaires au bon moment, en évitant au maximum les tergiversations. »
Des éléments autres que politiques constituent des obstacles à la rénovation urbaine : la pénurie et l’augmentation des matières premières, le manque de main d’œuvre, les contestations de riverains…
Olivier Carrette : « En ce qui concerne la grande pénurie des matériaux de construction, qui ont connu une augmentation de 20 % des prix, on peut affirmer que cette problématique est majoritairement derrière nous, les prix restant néanmoins élevés. »
Sophie Lambrighs : « Mais l’augmentation reste toutefois fort importante ! »
Nicolas De Coster : « Je nuancerai vos deux avis. Un plateau a été atteint en 2022 dans la courbe d’augmentation des indices. L’augmentation continue de progresser, mais dans une proportion normale. Ce qui a surtout évolué en termes de coûts, c’est l’incertitude. Il y a un an, elle était totale sur les budgets d’investissement au début d’un projet. On est revenu dans une progression standard qui permet de limiter les incertitudes, mais l’augmentation qui a eu lieu n’a pas été compensée pour autant. On construit beaucoup plus cher aujourd’hui qu’il y a 3-4 ans. »
Avec une somme dérisoire, il est possible d’introduire très rapidement un appel contre un permis, ce qui peut parfois freiner des projets d’envergure qui coûtent des milliards.
Michel Van Geyte
Rikkert Leeman : « Quand on parle de rénovation urbaine, la complexité se reflète surtout dans la main d’œuvre : tout ne peut pas être démoli, il faut agir de façon chirurgicale. Les coûts restent donc élevés. On doit surtout réfléchir à un cadre pour inciter à la rénovation urbaine. La fiscalité est une piste, mais on peut aussi imaginer une procédure accélérée pour obtenir les permis, ainsi qu’une certaine souplesse dans l’interprétation des règles. À un moment donné, une période transitoire accordait aux immeubles existants une marge de 25 % par rapport aux objectifs appliqués pour les constructions neuves. Une telle souplesse pourrait accroître la motivation des gens à accélérer la rénovation urbaine. »
Michel Van Geyte : « On critique beaucoup le politique, mais je constate que le citoyen s’oppose très facilement à des projets. Avec une somme dérisoire, il est possible d’introduire très rapidement un appel contre un permis, ce qui peut parfois freiner des projets d’envergure qui coûtent des milliards. Il ne s’agit évidemment pas de contester le droit des citoyens à donner leur avis, mais certains cas de contestations reposent sur des détails qui, objectivement, ne justifient pas de paralyser tout un projet. »
Nicolas De Coster : « Il manque clairement une instance d’arbitrage qui soit animée d’une notion d’intérêt public et de bon sens. »
François Honoré : « En France, l’Assistance à Maîtrise d’Usage réside dans le principe qu’il n’y a pas seulement deux parties (le politique et le promoteur), mais aussi une tierce partie, à savoir les usagers actuels et futurs. L’idée est donc, tout en amont, de pouvoir travailler au maximum en intelligence collective pour enrichir le projet et également pour fluidifier le processus d’obtention du permis, notamment grâce au processus inclusif. Et l’intelligence collective, ce n’est pas l’anarchie : d’une part, si les besoins des usagers doivent être entendus, l’intérêt du promoteur doit aussi être préservé, et d’autre part, une fois qu’une décision est prise, elle doit être soutenue par tous, pour faire avancer le projet et le territoire. »
Olivier Carrette : « Et précisément, la lasagne institutionnelle de notre pays entraîne comme conséquence que chaque niveau de pouvoir se dégage trop souvent de ses responsabilités pour les repousser vers les autres niveaux de pouvoir. A contrario, les villes où les bourgmestres assument leur vision et leurs choix sont celles qui présentent le meilleur développement. »
Sophie Lambrighs : « Et il est clair que les divergences entre partis politiques, qui amènent à des blocages trop fréquents, donnent un très mauvais signal au citoyen. »
Filip De Bois : « Il faut une concertation globale et des gens ayant le courage de prendre une décision. Les CEO de grandes sociétés à l’étranger ne comprennent pas comment les décisions peuvent prendre des années chez nous avant d’entrer en vigueur. La démocratie, ce n’est pas consister à tout bloquer, mais avancer avec chacun en cherchant des solutions constructives. »
Entre le début d’un projet et la concrétisation avec l’investisseur final, plusieurs années peuvent s’écouler. Des structures d’échange existent-elles entre acteurs de l’immobilier pour renforcer la compétitivité du secteur ?
Sophie Lambrighs : « L’UPSI constitue une structure d’échange dynamique, qui fait que nous sommes tous réunis à ce débat. Nous sommes à la fois collègues et concurrents, mais aussi parfois associés, et nous n’hésitons pas à échanger régulièrement sur des sujets bien précis. Aucun de nous ne possède un volume critique suffisant que pour pouvoir réutiliser d’une année sur l’autre l’expérience qu’il a glanée. Quand on développe un projet, ce n’est que 5 ans plus tard environ qu’on en reçoit le retour d’expérience, ce qui est fort long. Nous avons la chance d’être dans un secteur où l’on se parle beaucoup. Il faut utiliser tous les créneaux disponibles pour favoriser l’échange au niveau technique. »
Rikkert Leeman : « C’est un point important que ce partage des expériences et des connaissances, mais il y a aussi un défi au niveau de la pensée urbaine, par rapport aux matériaux qui ressortent d’un projet, sans savoir s’il y a à proximité une entreprise qui peut récupérer ces matériaux pour les recycler. Il y a encore beaucoup de potentiel en la matière pour mettre une telle filière en place. »
Nicolas De Coster : « Nous avons tous exprimé des craintes, mais cela ne doit pas occulter le fait qu’il existe énormément d’opportunités fantastiques et de choses à inventer, car tout le monde a besoin de cette transition vers une économie circulaire qui fait totalement sens et est pleine de vertus. Nous avons tous à y gagner. Avec l’intelligence collective, des filières de réemploi, de stockage, et des nouveaux métiers à créer peuvent être implémentés. »