Les sciences du vivant constituent un secteur particulièrement à risque en termes d’investissement. Seuls quelques pourcents des projets aboutissent. Pour Géry Lefebvre, Investment Manager chez Wallonie Entreprendre Life Sciences, ce phénomène ne doit pas alarmer pour autant. La maturité et la robustesse de l’écosystème doivent permettre de rester optimiste pour l’avenir.

Géry Lefebvre
Investment Manager chez Wallonie Entreprendre Life Sciences
Comment se porte le secteur des sciences du vivant en Belgique ?
Géry Lefebvre : « Jusqu’il y a trois ans, il a été marqué par un afflux de capitaux, notamment en raison de la crise sanitaire. Ceci a permis d’exploiter un volume important de financements à des valorisations souvent très élevées, même pour des sociétés qui avaient peu de résultats cliniques. Hélas, la dynamique de financement des fonds privés belges ou internationaux spécialisés a connu un très net repli depuis 2022. Malgré ce contexte difficile, le secteur reste porteur d’espoir en Belgique, singulièrement en Wallonie. Des levées de fonds majeures ont lieu à l’échelle européenne – ATB Therapeutics, Pantera, Augustine Th -, ainsi que des exits ou événements de liquidité très favorables – CluePoints – qui permettent ensuite de réinvestir dans d’autres projets. La résilience du secteur repose aussi sur la robustesse de notre écosystème, qui combine universités, talents, big pharma, sociétés de service, plateformes technologiques, financements publics et privés, etc. Tout cela constitue un terreau fertile à l’innovation en sciences de la vie. »
Une entreprise développant une nouvelle thérapie n’a que 5 à 10 % de chances de succès.
À quels défis majeurs les life sciences sont-elles confrontées en ce moment ?
G. L. : « Le secteur des sciences de la vie est composé majoritairement de sociétés par essence éphémères. Chaque innovation constitue en effet un risque basé sur des hypothèses qui doivent ensuite être cliniquement validées. Même avec des ressources optimales – financements, équipes, marché attractif -, une entreprise développant une nouvelle thérapie n’a que 5 à 10 % de chances de voir aboutir son projet en termes de résultats cliniques, en dépit des centaines de millions d’euros investis. On comprend dès lors que face à 90 ou 95 % d’échecs, seuls des investisseurs hautement spécialisés et familiers avec ce niveau de risque peuvent se lancer dans l’aventure. Les fonds publics d’investissement sont confrontés au même paradigme. Pour eux, un seul succès peut plus que compenser toutes les autres pertes. »
Disposons-nous en suffisance de ce type d’investisseurs en Belgique ?
G. L. : « Malheureusement non. Il y a une carence d’investisseurs privés spécialisés, tandis que les fonds européens et américains, confrontés à des difficultés de levée, sont devenus plus sélectifs. En réalité, l’investissement dans les sciences de la vie a aujourd’hui un petit côté schizophrénique : des sociétés triées sur le volet arrivent à attirer des investisseurs et à structurer des levées de fonds très importantes de l’ordre de 50 à 100 millions d’euros, tandis que d’autres peinent à financer la poursuite de leurs programmes cliniques. Signalons aussi que l’horizon nécessaire pour conclure une levée de fonds s’est singulièrement allongé ces trois dernières années ; il est passé de 6 à 12 voire 18 mois. Toutefois, tout n’est pas négatif pour autant : nous sommes face à une crise de financement, pas à un problème de marché. »
La résilience du secteur repose sur la robustesse de notre écosystème.
Quelles solutions propose Wallonie Entreprendre Life Sciences ?
G. L. : « Toujours en co-investissement avec des fonds privés spécialisés, nous avons réussi à adapter notre stratégie pour répondre à ce contexte. Nous avons évolué vers un modèle d’investissements plus qualitatif, mais toujours diversifié et ciblé sur différentes modalités thérapeutiques à différents stades de maturité des sociétés. Notre stratégie intègre une politique de partenariat avec des fonds d’investissement européens (LP’s) afin de co-investir dans des sociétés wallonnes et d’attirer des entreprises de leur portefeuille dans la région. »
Quelles autres tendances suivez-vous ?
G. L. : « Bien que nous ayons été volontaristes sur la médecine nucléaire en 2023- 2024 (Pantera, Abscint), nous restons agnostiques en termes d’indications et de modalités. Nous adaptons notre stratégie et nos investissements aux progrès de la recherche scientifique et aux évolutions des besoins cliniques et in fine du marché. En 2024, 85 % des flux financiers mondiaux se concentraient sur les molécules chimiques et les biologiques (anticorps, ADC). Nous suivons cette tendance tout en restant ouverts à des innovations, comme Esobiotec (CAR-T), et en veillant à une approche agile, dynamique et proactive. »