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Table Ronde

Immobilier : la crise sanitaire est un accélérateur de tendances

La crise sanitaire, le travail à distance, la flexibilité des bureaux, la transition numérique et la durabilité sont quelques-uns des sujets qui animent le monde de l’immobilier. Fin février, Mediaplanet a réuni huit experts pour faire le point sur les opportunités et défis actuels du secteur. 

Texte : Philippe Van Lil – Photo : Kris Van Exel

En quoi la crise sanitaire et économique actuelle impacte-t-elle le marché immobilier ? 

Adel Yahia
Managing Director d’Immobel

Adel Yahia « Une première tendance est la longue durée pour obtenir un permis ; plusieurs dossiers sont bloqués. La deuxième est la bonne santé du résidentiel à la côte belge, où les ventes sont deux fois plus rapides qu’avant la crise, ainsi dans les grandes villes comme Bruxelles, Anvers et Gand. Le télétravail à domicile aidant, la demande de maisons avec jardin est plus grande, alors qu’avant crise, on constatait la tendance inverse. » 

Stephan Sonneville : « Notre groupe est présent dans neuf pays européens. Je peux vous confirmer que la lenteur dans la délivrance des permis, qu’il s’agisse de résidentiel ou de bureau, est relativement similaire partout. Le confinement, les perturbations, le télétravail ont entraîné une lenteur encore plus importante et pénalisante dans les processus décisionnels de l’administration. Ceci engendrera des difficultés à long terme pour à répondre à la demande d’immobilier. »

Geoffroy Jonckheere
artner, Real Estate Deals Leader chez PwC Belgium

Geoffroy Jonckheere : « En général, la crise de la Covid aura été un accélérateur des tendances existantes. Le secteur résidentiel aura lui démontré une relative résilience : la demande est restée importante et l’augmentation des prix constatée depuis plusieurs années s’est poursuivie, ceci créant un écart de plus en plus grand dans l’accès à la propriété. On le constate d’ailleurs dans la demande des investisseurs privés : depuis la crise, nous observons une augmentation de l’intérêt pour les structurations de fonds dédiés au secteur résidentiel, ce qui n’existait quasiment pas en Belgique pour le résidentiel d’investissement auparavant. Cette demande vient non seulement d’investisseurs privés belges mais aussi de grands fonds étrangers. »

Sandra Gottcheiner
Development & Innovation Director chez BPI Real Estate

Sandra Gottcheiner : « Au niveau du résidentiel, la demande de sens, de services et d’innovation dans les projets avait déjà été bien anticipée par le secteur immobilier. De nombreux projets conçus avant la crise sanitaire et ralentis par celle-ci sont prêts à voir le jour. Toutefois, il y a des freins. Comme déjà évoqué, il faut beaucoup de temps pour obtenir les permis, et les projets ne voient alors le jour que trois à cinq ans après leur conception. »

Geoffroy Jonckheere : « Ceci est tout à fait exact ! En 2020, la crise aura creusé le déficit de plus de 30 milliards d’euros en Belgique. Dans le même temps, on constate que quelque 295 milliards d’euros d’épargne privée dorment sur des comptes. Il est temps de mobiliser cet argent ! Si l’on prenait juste 2 % de cette manne, on arriverait à l’équivalent de ce que l’UE a décidé de mettre sur la table pour la relance économique. Or, aujourd’hui, nous ne disposons pas d’outils efficaces permettant de structurer des fonds pour faire appel à cette épargne. Ce type d’outils permettrait non seulement de mobiliser l’épargne privée individuelle mais également de mettre en place des partenariats public-privé au sein de fonds, avec une vision à plus long terme dans ce qui touche aux infrastructures. Aujourd’hui, il existe bien les fonds européens d’investissement à long terme – ELTIF -, mais cette structure, qui est introduite par un Règlement européen directement applicable en Belgique, n’a pas été correctement implémentée et n’est pas encore ‘utilisable’ par le marché belge. En effet, il manque encore un cadre fiscal pour qu’elle ait le bénéficie du même statut fiscal que les autres fonds d’investissement. La fiscalité relève de la compétence des États membres et, à ce jour, la Belgique n’a pas encore pris d’initiative à ce sujet. »

Dirk Paelinck
CEO de Workero & European PropTech Association, Chairman

Dirk Paelinck : « Dans le secteur du coworking, l’effet de la crise sanitaire est la baisse du nombre de clients, à l’exception des bureaux privatifs où la plupart des gens sont restés. Certaines sociétés de coworking ont dû mettre la clé sous le paillasson, d’autres sont en très grande difficulté. Heureusement, bien des sociétés ont réussi à adapter leur offre et nul doute qu’elles en tireront encore profit après la crise de la Covid. »

Annick Vandenbulcke : « Au niveau de l’immobilier commercial, principalement des bureaux, les sociétés ont mis en attente bon nombre de décisions l’an dernier. Elles se sont plutôt concentrées sur la gestion de la crise et son impact sur leur propre business. Depuis le dernier trimestre 2020, elles réfléchissent néanmoins aux conséquences du télétravail pour l’avenir de leurs bureaux. Beaucoup continueront à proposer le travail à distance quelques jours par semaine. Toutefois, il s’agira de maintenir la motivation des collaborateurs en organisant des réunions fréquentes sur les lieux de travail. Ceci exigera de la flexibilité dans l’aménagement des bureaux, avec notamment plus d’espaces collaboratifs, plus d’espaces de concentration et sans doute la disparition progressive des open spaces. »

Les développeurs passent aujourd’hui 30 % de leur temps à imaginer comment rénover un bâtiment existant, là où avant on préférait démolir et recommencer.

Adel Yahia, Managing Director d’Immobel

Geoffroy Jonckheere : « Le bureau ne sera plus un endroit dans lequel on devra être mais plutôt un lieu, recentré sur l’humain, où l’on aura envie d’être, pour partager, échanger, cocréer. Nous aurons sans doute besoin de surfaces moins denses mais plus flexibles et situés dans des endroits avec plus de mobilité. »

Adel Yahia « Le marché de l’immobilier de bureau devient très binaire. Les bâtiments bien situés deviennent très chers ; les moins bien situés le sont nettement moins. Le grand défi pour les acteurs du marché est aujourd’hui de signer des contrats de bail pour neuf ans ; ils sont concurrencés par l’émergence d’un grand marché de la sous-location. »

Après la crise, il nous faudra aussi expérimenter des formules qui rendent la ville attractive : certaines activités se développeront car elles sont des facteurs d’animation de l’espace urbain.

Benjamin Cadranel, Administrateur général de Citydev.Brussels

Annick Vandenbulcke : « Les différences de prix entre les bureaux de bonne qualité et les autres se marquent en effet de plus en plus. Avec le télétravail, les sociétés réduiront sans doute le nombre de mètres carrés loués mais exigeront des bâtiments de qualité. Il s’agira d’offrir un environnement de travail agréable et de nombreux services afin d’inciter les gens à venir au bureau. »

Benjamin Cadranel
Administrateur général de Citydev.Brussels

Benjamin Cadranel : « Pour l’organisation de nos vies privée et professionnelle, rester chez soi en permanence, c’est effectivement compliqué et non souhaitable. La crise de la Covid a montré nos limites, notamment en termes de perte de sens. Après cette longue période de confinement, les gens seront demandeurs de proximité. Celle-ci se trouve notamment dans le travail, les balades en ville et au sein des centres commerciaux. Après la crise sanitaire, il nous faudra aussi expérimenter des formules qui rendent la ville attractive. Des activités comme la manufacture d’objets, la réparation de vélos, les show-rooms ou les micro-brasseries seront sans doute amenées à se développer car elles sont des facteurs d’attractivité et d’animation de la ville. »

Michel Van Geyte
CEO de Leasinvest

Michel Van Geyte : « La pandémie a certainement accéléré certaines tendances comme l’e-commerce, le travail à distance, la digitalisation, la flexibilité des bureaux … Nous ne pouvons pas dire que nous avons vraiment été surpris par ces tendances en tant que telles car elles étaient déjà bien présentes avant la crise sanitaire. En revanche, celle-ci a non seulement donné un coup d’accélérateur mais elle a aussi fait prendre conscience de l’intérêt de la mixité des fonctions des bâtiments et sites avec, par exemple, du résidentiel, des bureaux, des commerces et un centre de conférences. La mixité fera que les gens auront effectivement encore plus envie de se déplacer au bureau. Je suis certain que les bâtiments monofonctionnels et isolés en périphérie font partie d’une époque révolue. La mixité, la mobilité, la durabilité et la technologie doivent être combinées pour faire partie du tissu des centres-villes. Une fois que la pandémie sera terminée, nous retournerons vers une vie plus normale, où les gens auront envie de se rencontrer, de se rendre au bureau, d’aller au restaurant, etc. »

Stephan Sonneville
CEO d’Atenor

Stephan Sonneville : « Selon moi, le télétravail est un leurre ! De nombreuses personnes engagent aujourd’hui une partie de leur épargne pour acquérir un bien d’où elles pourraient éventuellement télétravailler en regardant la mer. La situation actuelle pourrait cependant ne pas perdurer, d’autant plus que, contrairement à ce qui est parfois affirmé, je ne pense pas que le télétravail rende les gens heureux. Au contraire, il accentue les différences sociales et économiques, il crée de la perte de liens et de sens, il détruit de la création de valeurs issues de nos contacts. Le bien-être des collaborateurs d’une entreprise ne consiste pas à les laisser chez eux en télétravail ; il passe par leur présence au bureau ! »

C’en est fini de l’image du promoteur immobilier obscur et capitaliste… Nous avons plus que jamais un rôle d’agent transformateur des villes !

Stephan Sonneville, CEO d’Atenor

Dirk Paelinck : « La présence au bureau passe aussi par le coworking. Dans le monde, on compte quelque 40.000 espaces de coworking. Ce marché, dont la valeur se chiffrera à 250 milliards d’euros d’ici à six ans, est en expansion. Toutefois, si dans certains pays, les ‘flexible working spaces’ occupent jusqu’à un tiers des espaces de bureau, en Belgique, on n’atteint que 3 %. Je suis persuadé qu’après la crise, ce mouvement de flexibilisation des bureaux prendra énormément d’ampleur. Ce type d’espace offre nombre d’avantages en termes de fonctionnalités et de services complémentaires. Le coworking est généralement considéré comme un mouvement précurseur de la flexibilisation des bureaux. Je suis persuadé que ce mouvement des ‘flexible working spaces’ ne fera que croître après la crise sanitaire. »

De quels défis et opportunités la transition numérique est-elle synonyme pour le secteur ?

Stephan Sonneville : « Aujourd’hui, dans l’immobilier, il y a un foisonnement d’applications de toutes sortes, depuis la conception d’un bâtiment jusqu’à son utilisation, en passant par sa modélisation, sa construction, son exploitation et sa commercialisation. De plus en plus pointus, certains outils numériques sont utiles, d’autres rendent les choses plus complexes voire contreproductives. Exemple : gérer un parking via une technologie qui indique le nombre de places disponibles répond à un véritable besoin ; mais disposer d’une application – cela existe ! – qui indique quelle place l’employé doit occuper lorsqu’il passe la porte de son bureau, c’est tout simplement inhumain ! »

Geoffroy Jonckheere : « Votre réflexion souligne un élément essentiel : l’innovation doit répondre à un besoin ou à un problème bien réel. On ne peut pas innover pour le plaisir d’innover ! La crise sanitaire a démontré toute l’importance de la digitalisation et de sa nécessité. En mars 2020, nombre de sociétés ont été contraintes de passer au digital… en trois jours à peine ! »  

Annick Vandenbulcke
Managing Director & Head of Occupier Advisory chez Colliers

Annick Vandenbulcke : « Savoir quoi faire de nos données est essentiel. Il faut créer des datas utiles pour celui qui exploite le bâtiment ou le bureau en tant qu’utilisateur. Si elles servent à mieux aménager et utiliser les espaces de bureau pour correspondre à la demande, c’est évidemment formidable. En revanche, créer ou récolter des données sans but précis pour finalement ne rien en faire, c’est inutile ! »

Adel Yahia : « Tous les grands projets de plus 7.000 m² dans lesquels nous nous investissons aujourd’hui au sein de notre groupe sont ‘mixed use’ : ils combinent résidentiel, bureaux, retail, salles de sport, parkings, etc. Une question fondamentale est de savoir comment utiliser les diverses technologies pour que ces bâtiments fonctionnent de manière optimale. »

Avec le télétravail, les sociétés réduiront sans doute le nombre de mètres carrés mais exigeront des bâtiments de qualité pour un environnement de travail agréable.

Annick Vandenbulcke, Managing Director & Head of Occupier Advisory chez Colliers

Sandra Gottcheiner : « Nous sommes à un tournant extrêmement intéressant de l’innovation. Nombre de solutions technologiques – 5G, cloud, capteurs, etc. – sont mises en place, notamment pour l’échange d’informations. En lien avec le GDPR et la protection des données, il faut néanmoins rester attentifs au consentement des personnes. C’est notamment en fonction de cela que l’on peut développer ou non certaines technologies. Actuellement, il existe beaucoup de startups, d’idées matures ou en cours de maturation, mais il s’agit de savoir ce qu’on peut intégrer ou non dès aujourd’hui. C’est d’autant plus vrai que le grand challenge est que nous concevons et développons aujourd’hui des solutions technologiques qui ne seront sur le marché que dans quatre ou cinq ans. Le niveau hardware de ces solutions, c’est-à-dire ce qu’il faut intégrer dans le bâtiment, ne pourra être modifié par la suite ! »

Adel Yahia : « Il faut en effet 5 à 10 ans pour développer un projet. Entretemps, le monde change à 200 à l’heure, avec ce risque inhérent à notre activité qu’on ne sait pas si notre produit final sera toujours bien adapté au monde de demain. »

Les ‘flexible working spaces’ offre nombre d’avantages en termes de fonctionnalités et de services complémentaires et sont amenés à se développer encore.

Dirk Paelinck, CEO de Workero & European PropTech Association, Chairman

Michel Van Geyte : « En tant qu’investisseur final, lorsqu’on parle digitalisation et de gestion des bâtiments, il faut essayer de trouver du ‘low hanging fruit’, c’est-à-dire des méthodes faciles à mettre en œuvre et qui assurent des retombées financières élevées. C’est le cas par exemple avec l’idée simple mais géniale d’une startup qui a lancé une technologie qui, sur la base des prévisions météorologiques, gère de manière anticipée les baisses et hausses de température des bâtiments. Cette solution permet une économie en électricité et chauffage de plus de 30 % ! »

Annick Vandenbulcke : « Je constate également énormément d’initiatives dans les PropTech, avec une très grande diversification et beaucoup de petits acteurs actifs. Le défi sera de créer une plateforme commune permettant d’avoir accès à toutes ces technologies afin de créer une expérience utilisateur fluide. Il ne faudrait pas aboutir à ce que celui-ci doive utiliser une application pour entrer dans un parking, une autre pour réserver salles de réunion, une autre encore pour accéder à son bureau et ouvrir son casier, etc. »

Adel Yahia : « En plein démarrage, le monde de la PropTech est en effet très dynamique, entre autres pour optimiser la gestion des bâtiments. Toutefois, le ‘tsunami technologique’ viendra probablement aussi de l’extérieur de notre secteur. De grandes sociétés comme Google, Apple et Amazon développent en ce moment nombre de systèmes basés sur l’expérience utilisateur. »

Benjamin Cadranel : « La technologie est un sujet qui donne le vertige et qui est quasiment d’ordre philosophique : elle détermine l’avenir de l’homme ! Elle nous amène à des questions sur la place de l’individu, sur notre degré de conscience, etc. Le secteur de l’immobilier n’échappe pas à cette réflexion. La technologie y évolue très vite et exige de s’y adapter en opérant les bons choix. Cette réflexion est d’autant plus aigue que l’on est face à une série de paradoxes : l’immobilier incarne par définition une notion de permanence, alors que la technologie est synonyme de croissance rapide ; l’immobilier est synonyme de concret et de tangible, alors que la digitalisation, c’est de l’immatérialité. Il ne faut cependant pas que ces paradoxes nous fassent peur ou nous poussent à l’immobilisme. Que ce soit dans le développement de projets, la commercialisation d’espaces de bureau, l’urbanisme ou bien d’autres domaines, le digital est d’un grand secours, notamment pour mieux prévoir et organiser les choses. »

Sandra Gottcheiner : « La transformation digitale permet de faire bouger les lignes sur le plan de la durabilité et de l’impact écologique. Quand on sait que 30 % des gens qui circulent dans une ville à l’heure de pointe ne font que chercher une place de parking, on voit les bénéfices d’une application localisant les places disponibles, que ce soit en termes de mobilité, de pollution ou de stress. La Smart Mobility est essentielle pour la gestion de nos villes et bâtiments. »

Le bureau ne sera plus un endroit dans lequel on devra être mais plutôt un lieu, recentré sur l’humain, où l’on aura envie d’être, pour partager, échanger, cocréer.

Geoffroy Jonckheere, Partner, Real Estate Deals Leader chez PwC Belgium

Michel Van Geyte : « Dans le prolongement de cela, il faut continuer à favoriser les solutions permettant de bien mesurer les consommations d’énergie, notamment via les ‘green leases’ – ou ‘baux verts’ – dans lesquels chaque partenaire – propriétaire, entreprise, gestionnaire, locataire, etc. – s’engage sur la voie de de l’efficacité d’énergie et de la diminution de sa consommation. Il faut aussi particulièrement motiver les locataires à participer à cette stratégie. Pour les y aider, il s’agit de veiller à bien sélectionner les nouvelles technologies dont on peut bénéficier. »

Qu’implique la durabilité dans ses nombreux aspects ?

Annick Vandenbulcke : « Pour les locataires d’immeubles commerciaux, la durabilité de ceux-ci devient de plus en plus une condition pour s’engager à l’occuper. C’est une réelle évolution ! Il y a encore dix ans, personne ne voulait payer plus cher pour ce critère. À présent, lorsqu’on change la localisation de son commerce, c’est d’office pour un mieux en la matière. La durabilité se traduit par une faible consommation énergétique mais aussi, par exemple, par un accès à des services communs, synonymes d’efficacité et d’économies d’échelle sur le plan environnemental, ou encore par des mesures facilitant la mobilité durable – accès vélos, bornes de rechargement électrique, etc. On constate d’ailleurs que les certifications ‘durable’ font désormais partie des critères de sélection des bâtiments commerciaux. En outre, la durabilité est aussi devenue partie intégrante de la culture et des valeurs de bon nombre d’entreprises, de leur ‘employer branding’. »

Benjamin Cadranel : « Au même titre que la technologie, la durabilité est un sujet central sur le plan à la fois politique et philosophique. À travers elle, nous cherchons à nous donner des perspectives quant à la survivance de l’espèce humaine. Quand on parle durabilité, c’est bien cela dont on parle ! Afin d’utiliser au mieux la planète, il y a bien sûr la lutte contre le réchauffement climatique via la diminution des émissions de carbone, mais aussi la nécessité que la majorité de la population vive dans les villes. Comment y assurer la meilleure cohésion sociale et la vie la plus harmonieuse pour tout un chacun ? La multifonctionnalité des quartiers, des bâtiments et même des pièces de vie constitue une partie de la réponse. Plus tôt on anticipera ce type de question, meilleures seront les villes de demain. »

Actuellement, il existe beaucoup de startups, d’idées matures ou en cours de maturation, mais il s’agit de savoir ce qu’on peut intégrer ou non dès aujourd’hui.

Sandra Gottcheiner, Development & Innovation Director chez BPI Real Estate

Sandra Gottcheiner : « La durabilité implique le sens donné à notre métier et l’amélioration du cadre de vie des citoyens. Au sens le plus large du terme, elle englobe de multiples solutions bénéfiques au développement des énergies, de la culture et de l’inclusion sociale. En tant que promoteurs immobiliers, nous avons évidemment la possibilité et l’envie d’agir sur ces leviers ; nous sommes attachés aux critères ESG – environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance. Nous sommes aussi entourés aujourd’hui de financiers et d’actionnaires particulièrement attentifs à ces questions. »

Stephan Sonneville : « Avec une prise de conscience encore plus grande durant la pandémie, la durabilité est devenue une question encore plus importante et urgente. À ces aspects économiques, environnementaux et sociaux, il faut ajouter la ‘Smartitude’, soit l’intégration des valeurs démocratiques et technologiques au service de la durabilité. Nous sommes tous ici pleinement inscrits dans les 17 objectifs de développement durable définis par les Nations Unies : éradication de la pauvreté, accès à l’eau salubre, recours aux énergies renouvelables, etc. Au niveau européen, cela s’est aussi traduit dans le Green Deal, auquel nous souscrivons aussi pleinement. C’en est fini de l’image du promoteur immobilier obscur et capitaliste… Il est plus que jamais un agent transformateur des villes ! »

Geoffroy Jonckheere : « Je suis tout à fait en phase avec ce qui vient d’être dit. Aujourd’hui, tous ces aspects de ESG et de durabilité sont à l’agenda des politiques, des développeurs, des investisseurs et de leurs comités d’investissement. Dans toute la chaîne jusqu’au propriétaires, il y a cette envie de faire évoluer les choses. »

Adel Yahia : « Un ensemble éléments nous pousse à plus de durabilité : la vague verte que l’on voit déferler partout, l’institutionnalisation et la financialisation de l’immobilier, la plus grande accessibilité financière de celui-ci à plus de gens, le fait que 40 % des déchets émis proviennent des bâtiments, etc. Il y a deux ou trois ans à peine, il fallait se battre auprès des investisseurs car ce qui est durable coûte entre 10 et 20 % plus cher. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse qui se produit : si on a quelque chose de durable, on reçoit une prime ! Depuis quelques temps déjà, les projets développés sont CO2 neutre ou sans énergie fossile. Mais qui aurait imaginé, il y a un an à peine, qu’ils seraient désormais sans gaz ? Assurément, la technologie se développe très vite et les projets deviennent de plus en plus durables. »

Sandra Gottcheiner : « De nos jours, la tendance vers le zéro carbone est évidemment le sujet numéro 1 de la durabilité. En la matière, on est très loin du ‘green washing’. Au sein de notre groupe, nous avons par exemple lancé une start-up qui intègre la construction en bois. Nous mettons en pratique la récupération de matériaux avant démolition, que nous intégrons dans un projet une ferme urbaine. De même, en termes de smart mobility, nous ne construisons que le strict nécessaire en sous-sol afin d’éviter de se retrouver avec une foultitude de places de parking non occupées dans la ville. »

La mixité est la clé de Je suis certain que les bâtiments monofonctionnels et isolés en périphérie font partie d’une époque révolue.

Michel Van Geyte, CEO de Leasinvest

Benjamin Cadranel : « En matière de durabilité, la circularité dans l’utilisation des matériaux est en effet un point important. La technologie aide à mieux concevoir l’utilisation des ressources, matières premières et matériaux nécessaires à la construction des bâtiments. »

Adel Yahia « La circularité prend de l’ampleur. Les développeurs passent aujourd’hui 30 % de leur temps à imaginer comment rénover un bâtiment existant, là où avant on préférait démolir et recommencer. On analyse désormais les qualités des bâtiments existants, la façon de réutiliser les matériaux de bâtiments rénovés, etc. »

Stephan Sonneville : « Effectivement, nous réfléchissons à la récupérabilité mais c’est aussi car nous y sommes obligés. En Flandre par exemple, le gaz n’est plus autorisé ; ici et ailleurs, on ne parle plus de permis de démolition mais de ‘permis de déconstruire’. Et on sait aussi que si on veut démolir et reconstruire, on attendra le permis encore plus longtemps. Cela étant, ces contraintes sont une bonne chose ! »

Dirk Paelinck : « Le Green Deal, soit la feuille de route de l’Union européenne pour rendre son économie plus durable, est le plan le plus exigeant au monde. L’argent nécessaire pour y arriver est sur la table. De son côté, Next Generation EU, l’instrument temporaire destiné à stimuler la reprise après la crise sanitaire, constitue le plus vaste train de mesures de relance jamais financé par l’UE. Ici, une enveloppe globale de 1.800 milliards d’euros est sur la table, dont 25 % doivent être investis dans des actions pour une planète plus verte. Toutes ces mesures budgétaires vont évidemment aider, dans une grande mesure, l’innovation et la durabilité dans le secteur immobilier. En sus, énormément de nouveaux fonds naissent chaque mois et investissent dans les PropTech et pas seulement dans des startups. »

Michel Van Geyte : « La durabilité est fort présente dans les nouveaux projets. Toutefois, la plus grande partie de l’immobilier est constitué de portefeuilles existants ; conçus il y a trois années à peine, ils sont déjà dépassés en termes de durabilité ! Il y a trois ans, nous n’étions pas au courant de toutes les technologies qui existent aujourd’hui. Rafraîchir les portefeuilles existants en bâtiments durables n’est pas évident du tout en raison de leur conception initiale. De même, on ne parlait pas non plus de circularité dans la construction il y a trois ans. De plus, rénover des bâtiments ayant plus de 150 ans n’est pas toujours possible ou exige un travail immense. La durabilité a un certain prix, qui s’ajoute à l’augmentation actuelle du prix des terrains. »

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