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Leadership : intransigeant sur la vision et souple sur l’exécution

Depuis près de deux ans, la crise sanitaire oblige les entreprises à adapter très vite leur fonctionnement à des contraintes inédites. Contexte de crise ou non, le dirigeant doit mobiliser et inspirer ses coéquipiers, estime Fred Colantonio, cofondateur d’une agence spécialisée en business coaching. Seuls comptent la finalité et les objectifs d’impact de l’organisation.

Texte : Philippe Van Lil

Fred Colantonio
Massimo Melone

Comment piloter de façon optimale le changement en entreprise ?

Fred Colantonio : « Le patron d’entreprise a une grande responsabilité dans la réussite du changement, par sa posture d’ouverture. Facile à dire et comprendre, certes. Moins évident en pratique. Nous rencontrons nombre de dirigeants qui ne jurent par exemple que par l’innovation et le fait d’avoir de nouvelles idées à tester. Pourtant, qu’un coéquipier passe la porte de leur bureau pour proposer une idée, et ils sont les premiers à aligner toutes les raisons pour lesquelles ça ne fonctionnera pas. »

Pour qu’un changement opère, il faut prendre le temps de comprendre les usages auxquels il doit répondre et accompagner l’évolution des pratiques et des mentalités.

« Autre illustration, un dirigeant d’entreprise qui suit une formation à la digitalisation, aux processus collaboratifs ou à l’intelligence collective, revient souvent enthousiaste et empressé ‘d’y passer’. Si c’est son rôle d’emmener ses équipes, ces dernières n’ont pas suivi ladite formation. Elles ne pourront donc pas embarquer à la même vitesse que lui, juste parce qu’il leur explique à quel point c’est crucial, fondé ou opportun. Aucun changement durable ne survient du jour au lendemain. »

Avez-vous en tête un exemple précis ?

F. C. : « Prenons le cas d’une entreprise désireuse de se doter d’un nouveau système informatique -CRM, ERP, outil collaboratif, e-commerce, gestion des connaissances… Les raisons sont multiples : conséquences du télétravail forcé, décentralisation des collaborateurs, accès aux informations via divers terminaux à distance, etc. Si le changement est envisagé sous l’angle de l’outil, cela se passe souvent mal – statistiquement dans 7 à 8 cas sur 10. Il est essentiel de prendre en compte les usages déjà en place et de les intégrer à la stratégie d’évolution en rassurant sur la finalité de l’outil, faute de quoi les équipes rechignent et l’outil reste sous-exploité, quand il n’est pas carrément déserté. »

Tester une nouvelle idée, apprendre des premières tentatives et ajuster au fur et à mesure des erreurs éventuelles, cela nécessite du temps.

Pourquoi ?

F. C. : « Les collaborateurs peuvent par exemple craindre que le nouvel outil serve à les ‘fliquer’, voire à servir d’outil de sanction si un équipier commet une erreur qui s’y trouve écrite ou documentée. Demander à des commerciaux de partager toute leur information, comme leur carnet d’adresses et l’état d’avancement de leurs offres, peut donner l’impression de les déposséder de leur valeur et de les rendre remplaçables à terme. Pour qu’un changement opère, il faut prendre le temps de comprendre les usages auxquels il doit répondre et accompagner l’évolution des pratiques et des mentalités. C’est un projet humain que le dirigeant doit porter, parce qu’il a des implications sur l’engagement, la motivation et la cohésion de l’équipe. Il est important de partir du contexte, du sens de la démarche et de la finalité recherchée. »

Ce n’est pas parce que les choses sont imprévisibles qu’on ne doit pas chercher à recueillir des éléments permettant de prendre des décisions en meilleure connaissance de cause.

Cette façon de faire risque-t-elle de prendre beaucoup de temps ?

F. C. : « Oui, car c’est la condition nécessaire au changement durable : établir la confiance est clé pour permettre le ‘test and learn’. Tester une nouvelle idée, apprendre des premières tentatives et ajuster au fur et à mesure des erreurs éventuelles, cela nécessite du temps. Laisser aux collaborateurs la possibilité de se tromper leur donne un sentiment de liberté, de responsabilité et de l’autonomie : évoluer par soi-même sans contraintes permet de mieux identifier les éléments innovants de ceux à corriger et d’aller de l’avant. »

N’est-ce pas la porte ouverte à certaines formes de laxisme ?

F.C. : « Au contraire, le chef d’entreprise doit se conformer à un principe simple : être intraitable sur la finalité et la vision. Pour le reste, il doit faire preuve de souplesse sur les moyens que ses collaborateurs emploient pour parvenir à l’objectif. Il ne peut tout contrôler, et ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. L’échec d’un dirigeant survient souvent de sa volonté d’imposer aux collaborateurs sa manière de travailler… ou d’un manque de communication… ou encore d’une absence de vision à long terme ! »

Comment appliquer cela dans un contexte d’urgence ?

F. C. : « L’être humain veut perpétuellement se trouver en situation de maîtrise de son environnement. C’est là cependant une illusion de l’esprit. On ne peut pas tout contrôler ! De tout temps et en tout lieu, il a fallu composer avec l’inattendu. On peut être un génie de la planification et penser, quand on se lève le matin, que toute sa journée se déroulera de manière millimétrée… jusqu’à ce qu’un camion déverse son chargement sur la route qui vous mène au travail, que l’un de vos collaborateurs tombe malade ou que votre enfant sorte de l’école plus tard que prévu. »

Il faut tout de même bien se fixer des priorités ?

Massimo Melone : « Oui. Il est certain qu’il faut pouvoir réagir aux urgences – temps court – mais sans perdre de vue la logique du temps long : on surestime souvent ce qu’on peut réaliser en un an, alors qu’on minimise ce qu’on peut accomplir en dix. En tant que criminologue de formation, je mets l’accent sur l’importance du faisceau d’indices. Il permet de se forger une intime conviction et d’aider à la décision. Ce n’est pas parce que les choses sont imprévisibles qu’on ne doit pas chercher à recueillir des éléments permettant de prendre des décisions en meilleure connaissance de cause. »

L’intuition est donc une dimension importante…

F. C. : « Absolument. Cependant, elle ne se résume pas à mettre le doigt au vent pour prendre une décision et s’inscrit dans le cadre plus large du développement de l’intelligence situationnelle du dirigeant : ici et maintenant, sur la base des éléments dont je dispose, en intégrant l’urgence (temps court) et la vision (temps long), quelles décisions prendre ? Avec quelles marges de manœuvre ? Pour tester quoi ? Cette attitude implique de faire un pari positif sur l’avenir et de croire en soi. »

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