La crise du coronavirus a constitué un électrochoc sur notre manière d’envisager nos modes de déplacements, les problèmes de congestion, les véhicules de sociétés, etc. Les longs mois de confinement et de télétravail nous ont aussi amenés à réfléchir plus avant sur notre impact environnemental.
Pour évoquer ces questions, Mediaplanet a réuni, à la mi-novembre, une palette d’experts autour de Elke Van Den Brandt, la ministre bruxelloise de la Mobilité.
Texte : Philippe Van Lil – photos : Kris Van Exel
Quel impact la crise sanitaire et économique a-t-elle sur la mobilité ?
Elke Van Den Brandt : « La crise de la Covid-19 nous a touchés dans tous les domaines, y compris au niveau de la mobilité et de l’espace public, en particulier dans les villes. À Bruxelles, pendant le premier confinement, on a été jusqu’à - 95 % de trafic automobile. Là, les Bruxellois ont réalisé la place très importante que prend la voiture dans notre ville : plus de 70 % de l’espace public. Dès lors, nous avons travaillé à donner plus de place aux piétons et aux cyclistes afin qu’ils puissent se croiser en toute sécurité. Nous avons mis en place près de 100 km d’itinéraires piétons et 40 km de pistes cyclables supplémentaires. La stratégie a fonctionné : en septembre, on comptait 87 % de cyclistes en plus. Ceci démontre que si l’on offre une infrastructure adaptée, les gens marchent et se mettent au vélo. Bruxelles est l’une des capitales les plus embouteillées d’Europe et deux tiers des déplacements s’y font pour moins de 5 km. Cela vaut la peine d’offrir des alternatives. »
Laurent Loncke : « Nous avons dû repenser notre business model. Cette crise est un accélérateur de cette transformation où l’on passe du modèle classique de la location d’une voiture de société vers du partenariat de mobilité durable. Le télétravail et le moins grand nombre de kilomètres parcourus nous ont poussés à adapter nos contrats, notamment en les prolongeant puisque les véhicules étaient moins utilisés… mais aussi en proposant du leasing vélo ! Celui-ci a explosé : la demande a triplé en quelques mois à peine. Nous travaillons en outre sur le car-sharing qui, une fois la crise sanitaire passée, continuera à constituer un potentiel énorme. »
Le point de départ vers une mobilité plus durable, dans tous les sens du terme, ne peut être que les besoins des individus.
Mathieu de Lophem CEO de Skipr
Mathieu de Lophem : « Un changement des mentalités se déroule à trois niveaux dans les entreprises. Un : elles ont pris conscience que le télétravail était non seulement possible et efficace, mais aussi que les employés désirent désormais plus de flexibilité dans leur mobilité. Cela amène à une offre de mobilité plus diversifiée pour répondre aux besoins ponctuels de chacun. Deux : le recours accru au vélo a diminué quelque peu la capacité du réseau routier pour les voitures et engendré plus d’embouteillages à certains endroits. Là où les mentalités évoluent, c’est que ces embouteillages ne doivent pas être forcément vécus comme des problèmes mais plutôt nous amener à réfléchir aux alternatives positives déjà en place. Trois : nombre de sociétés revoient fortement leurs objectifs de réduction de CO2 et envisagent en conséquence plus de solutions alternatives. »
Philippe Matthis : « En 2019, une année exceptionnelle, plus de 6 millions de tonnes ont été transportées via le Canal de Bruxelles. Fin octobre 2020, nous étions à -2 % de ce chiffre. Les entreprises ont donc continué à travailler, même avec un certain ralentissement durant les mois de confinement. Dans la construction, le pétrolier, les céréales et les vracs divers, on est quasiment à l’équilibre après les dix premiers mois de l’année. C’est une première bonne nouvelle ! À l’heure où je vous parle, on ne déplore aucune faillite parmi les 200 entreprises du site portuaire. Nous avons décidé d’octroyer des termes et délais à nos entreprises pour le paiement de leurs droits de concession, mais 10 % à peine ont fait appel à ces mécanismes. On voit donc que nos entreprises résistent relativement bien à la crise. »
Xavier De Buck : « La mobilité de l’après-crise sera en partie gérée par les nouvelles solutions technologiques, y compris pour les particuliers, la plus grande partie des déplacements étant d’ordre privé. Il faut mieux utiliser l’infrastructure en place car nous n’aurons pas les moyens de la développer fortement. À la suite du confinement, on a vu une diminution assez massive du nombre de véhicules sur les routes. Les files du matin s’étalaient sur un laps de temps plus long ; les gens s’organisaient en fonction d’horaires plus flexibles, en accord avec leur employeur. Cette flexibilité devra persister dans les années à venir, non seulement sous l’impulsion des employeurs mais aussi de toutes les plateformes multimodales. Il ne faut pas opposer la voiture au vélo, par exemple, mais donner la même chance à tous les moyens de locomotion, entre les villes comme à l’intérieur de celles-ci. »
Régler les problèmes de mobilité et de congestion ne se fera pas avec une solution unique, il faudra capitaliser sur la conjonction d’éléments.
Laurent Loncke CEO d’Arval
Didier Hendrickx : « Au niveau professionnel, on ne reviendra pas au présentiel comme auparavant. Au terme de plusieurs mois de travail à la maison, on peut commencer à évaluer avantages et inconvénients. Bien sûr, le lien social en entreprise est très important et la distanciation entre collègues a un impact important. Toutefois, cette situation créera aussi des opportunités, avec l’apparition de nouveaux types de professions et des emplois supplémentaires. Gageons que l’un compensera l’autre, mais c’est difficile à dire pour l’instant. Dans ce contexte, on doit déjà repenser complètement le rôle de la voiture, tant sur le plan professionnel que privé. Les entreprises doivent s’atteler à modifier les formules qu’elles proposent à leurs collaborateurs, en songeant à tous les types de mobilité. Le défi, anticipé et pleinement relevé, était aussi pour nos membres gestionnaires du réseau de gaz de combiner les tâches assumables en télétravail et la continuité des interventions auprès des clients – raccordements, entretiens, réparations. »
Guy-Louis de le Vingne : « Une voiture est généralement à l’arrêt plus de 90 % du temps. Avec la crise sanitaire, on est passé à… 99 % ! L’employé qui bénéficiait d’une voiture de société la voyait garée devant chez lui. Bien que tout à fait inutile, ce véhicule lui coûtait pourtant ; il a un ‘Avantage de Toute Nature’ tous les mois sur sa fiche de paie. Cela a donc provoqué un changement de mentalité. Dès lors, nous proposons de passer d’une logique de possession d’une voiture individuelle à une logique de partage et de paiement à l’usage et donc à la création de flottes de véhicules partagés. Il faut aussi passer de la voiture au multimodal. La raison principale pour laquelle les sociétés ne le font pas encore en ce moment, c’est que c’est compliqué… mais, vu les solutions qui existent aujourd’hui, c’est sans doute une mauvaise raison de ne pas le faire ! »
Ne craignez-vous pas que les problèmes de congestion persistent ? Quels leviers peut-on actionner pour y apporter une réponse efficace ?
Guy-Louis de le Vingne : « Un levier crucial est de ne pas diaboliser un mode de transport par rapport à un autre. Il faut utiliser le mode le plus adapté. Prendre sa voiture pour faire 2 kilomètres n’a pas beaucoup de sens… mais prendre 3 ou 4 types de transports pour se rendre chez un client non plus ! Proposer des solutions multimodales en entreprise reste néanmoins un véritable levier. Par ailleurs, une taxe kilométrique doit viser à décourager une mobilité qui ne serait pas durable. Il est cependant essentiel qu’elle ne s’applique pas aux véhicules partagés. »
Le canal est la seule voie de pénétration à Bruxelles qui n’est pas embouteillée et sa capacité de trafic est largement sous-exploitée.
Philippe Matthis Directeur général adjoint du Port de Bruxelles
Didier Hendrickx : « L’avenir est autant à l’intermodalité qu’à l’utilisation des plateformes numériques. Évitons de retomber dans nos anciennes habitudes quand c’est possible. Dans bien des cas, on peut très bien passer un appel vidéo plutôt qu’aller voir un client sur place. Quant à de nouvelles taxes kilométriques, je n’en suis pas partisan ; psychologiquement, elles resteraient des taxes de plus. Il faut surtout renforcer l’information et faire confiance à l’intelligence des particuliers et des entreprises. La crise sanitaire a démontré à suffisance que les gens sont tout à fait capables de se réorganiser complètement, même si c’est souvent dans la douleur. »
Pour opérer un vrai changement, il faut que tous, employeurs comme citoyens, aient conscience de ce qu’ils ont à y gagner.
Didier Hendrickx Public Affairs Manager chez Gas.be
Elke Van Den Brandt : « À Bruxelles, 50 % du trafic se concentre sur une durée de 4h30, alors que dans d’autres villes voisines, cette proportion s’étale sur 6 heures ou plus. Si l’on pouvait aplanir les heures de pointe, cela ferait déjà une différence énorme, à la fois dans les embouteillages et les transports en commun, sans même changer le nombre de nos déplacements et nos modes de transports. Toutefois, la multimodalité est la véritable clé. Chez nous, on a encore trop tendance à s’identifier à un seul mode de transport : on est soit automobiliste, soit utilisateur des transports publics, soit cycliste, soit piéton, etc. Il faut décloisonner cela ! »
Xavier De Buck : « La crise de la Covid-19 a eu un effet assez sensationnel sur le vélo électrique. En le rendant abordable grâce aux formules de leasing, on sent qu’on ouvre un nouveau marché. Jusqu’il y a peu, Bruxelles accusait un certain retard dans le nombre de vélos en circulation, principalement en raison de l’insuffisance des infrastructures mais aussi en raison des mentalités. Il faut dire que le relief de la ville ne joue pas non plus en faveur du vélo. À l’avenir, en termes d’infrastructures, il faudra privilégier certains axes spécifiques, car la place de la voiture restera importante malgré tout. À l’image de ce qui se fait à Anvers, Malines et Leuven, ce pourrait être des axes secondaires qui ne sont pas en conflit avec les axes primaires et qui seraient uniquement réservés aux vélos. »
Philippe Matthis : « À Bruxelles, 90 % du transport de marchandises se fait par route. Cela représente à peu près 84 000 déplacements quotidiens, soit entre 10 et 15 % du trafic… mais surtout 30 % de la pollution due au CO2 ! Le canal, qui traverse la région de part en part du nord au sud, est la seule voie de pénétration à Bruxelles qui n’est pas embouteillée. On pourrait faire deux fois plus de trafic, sans avoir à consentir beaucoup d’investissements. Nous voulons notamment être un acteur dans la logistique : une fois les marchandises arrivées dans les centres de transbordement urbain, elles peuvent être dispatchées vers le centre-ville avec des modes de transport alternatifs tels que de petites camionnettes électriques. Pour atteindre cet objectif, nous recherchons encore quelques espaces le long de la voie d’eau, le rêve ultime étant d’avoir l’espace des 40 hectares de Schaerbeek Formation, juste à côté de l’avant-port. »
Il ne faut pas diaboliser un mode de transport par rapport à un autre mais de proposer une solution adaptée à chaque type de déplacement.
Guy-Louis de le Vingne CEO de MyMove
Mathieu de Lophem : « Il existe deux types de leviers : les bâtons et les carottes… Et je préfère les carottes aux bâtons ! La taxe kilométrique est clairement un bâton. Londres l’a appliquée dans la douleur mais est devenue l’une des villes les plus durables depuis 2018. Le ‘budget mobilité pour tous’, lui, c’est la carotte. C’est même un must : il permettra de faire évoluer les mentalités, tout en n’étant pas perçu comme quelque chose d’imposé. Un moyen supplémentaire de changer les comportements est un outil tel que l’application MaaS (Mobility-as-a-service). Intégrant toute l’offre de mobilité, il fait le lien entre les zones en abords de ville, dans lesquelles un automobiliste peut laisser sa voiture sur un parking de dissuasion, et les divers modes de transport – en commun, vélos, trottinettes, etc. – lui permettant d’atteindre sa destination. »
Philippe Matthis : « Pour opérer un changement de mentalité, on peut en effet procéder de manière coercitive ou incitative. Je penche plutôt pour l’incitatif, par exemple comme nous le faisons en mettant des experts à la disposition de nos clients. Mais parfois le coercitif est nécessaire. Je rêve par exemple du jour où l’on interdira les poids lourds à l’intérieur du Pentagone. »
Elke Van Den Brandt : « Je comprends que la taxe kilométrique soit ressentie comme une taxe supplémentaire. Mais l’idée est de changer de taxe car actuellement, nous payons tous des taxes annuelles forfaitaires… que l’on roule beaucoup ou non ! Cette taxe peut donc être aussi une carotte ! Si les gens se déplacent moins souvent en voiture, ils gagnent de l’argent. Cela étant, du côté du gouvernement, nous devons également faire notre part et investir massivement dans les transports en commun. Il ne faut pas juste attendre que les gens changent de comportement ; il faut leur offrir la possibilité de le faire. À Bruxelles, rien que l’année prochaine, c’est 1,4 milliard qui sera investi dans des lignes supplémentaires de bus, trams et métro, notamment. »
Laurent Loncke : « Je me rallie complètement à deux mots : ‘multimodalité’ et ‘flexibilité’. Il faudra vraiment travailler sur mesure pour tout le monde. Depuis le début de la crise sanitaire, les écosystèmes suscitent beaucoup d’initiatives complémentaires, non seulement dans le secteur de la mobilité mais aussi dans ceux de l’habitat, du télétravail, des bureaux partagés, etc. Si on gère correctement ces écosystèmes, on pourrait vraiment avancer très vite dans la résolution des problèmes de mobilité. On créerait aussi un autre mode de pensée pour les générations futures. Toutefois, régler les problèmes de mobilité et de congestion ne se fera pas avec une solution unique. Il faudra capitaliser sur la conjonction d’éléments. Deux exemples : quelques jours de télétravail par semaine ; des entreprises qui dispersent leurs bureaux en plusieurs endroits afin de permettre à leurs employés de travailler plus près de chez eux. »
Les véhicules de société sont souvent décriés. Cela vous semble-t-il justifié ? Quelles solutions alternatives s’offrent aux entreprises ?
Mathieu de Lophem : « Les véhicules de société ne représentent que 11,5 % du parc automobile belge mais plus de 20 % de la distance totale parcourue par les voitures immatriculées en Belgique. Il faut néanmoins pouvoir offrir une alternative à tous les autosolistes et pas uniquement aux voitures de sociétés. Une solution pourrait être que le ‘budget mobilité pour tous’ prenne la forme de titres de mobilité. On pourrait s’inspirer de ce qui se fait en France, où le ‘forfait mobilité durable’ permet aux sociétés d’octroyer à leurs employés 400 euros par an, complètement défiscalisés, pour les trajets domicile-travail. On pourrait aussi se calquer sur le modèle des titres-restaurant en maintenant une fiscalité modérée. »
Elke Van Den Brandt : « L’un des problèmes est ‘l’autosolisme’, qui reste très élevé. Chaque matin, la plupart des gens sont seuls dans leur voiture. Le covoiturage et la voiture partagée constituent une partie de la solution. Une autre partie est de favoriser les transports alternatifs, notamment via l’application MaaS. »
Guy-Louis de le Vingne : « Le ‘budget mobilité’ offre une réelle alternative et doit être généralisé. Il ne faut pas se limiter à remplacer la voiture-salaire de certains employés. Il faut qu’il puisse s’appliquer à tous les employés et même les indépendants. Je suis très heureux d’apprendre qu’un projet est en cours afin d’élargir ce budget mobilité. Selon notre vision, l’alternative doit venir des entreprises, qui ont un rôle à jouer dans la généralisation des voitures partagées. Il faut donc trouver une solution fiscale intéressante pour celles-ci afin d’engendrer la demande de la part des employés eux-mêmes. »
Xavier De Buck : « Même si elles font plus de kilomètres, ce ne sont pas les voitures de société qui polluent le plus ! L’âge moyen des véhicules privés en Belgique est de 8 ans. Les véhicules professionnels sont beaucoup plus récents et, au niveau pollution, il n’y a pas photo ! En outre, il y a beaucoup plus de voitures électriques dans les flottes professionnelles que dans le privé. Le projet du gouvernement fédéral d’avoir 100 % de véhicules électriques de société dès 2026 a pour objectif de faire bouger les mentalités, mais il ne faut pas non plus en faire un dogme imposé. »
Ce projet fédéral du tout à la voiture électrique vous semble-t-il réaliste ?
Didier Hendrickx : « Les véhicules devront de plus en plus rouler avec des carburants propres qui tendent vers le zéro carbone. On ne se dirige pas pour autant vers une technologie unique. Plusieurs options vont coexister : l’électrique, l’hydrogène, le bio-CNG et le bio-GNL pour les camions. Passer à terme du gaz classique qu’est le gaz naturel au gaz renouvelable sous diverses formes, que ce soit du biométhane, du power-to-gas ou de l’hydrogène vert, est une nécessité. Ceci s’inscrit, en Belgique comme ailleurs en Europe, dans le cadre d’évolutions telles que le Green Deal mais aussi d’engagements du secteur gazier. »
Elke Van Den Brandt : « Pour atteindre l’objectif fédéral, il faudrait entre autres une offre de véhicules électriques plus petits et financièrement plus abordables mais aussi plus de bornes de rechargement. Nous avons créé une task force pour évaluer et piloter cette transition. Nous estimons qu’il faudra 11 000 bornes de recharge, en et hors voirie, à Bruxelles d’ici à 2030. Pour l’heure, les gens qui veulent acheter une voiture électrique et désirent une borne près de chez eux peuvent en faire la demande sur le site charge.brussels. Par ailleurs, comme cela vient d’être rappelé, il n’y a pas que l’électrique ; il y a aussi le CNG et d’autres technologies. »
Didier Hendrickx : « D’ailleurs, les exemples du recours au gaz renouvelable se multiplient. En voici trois exemples. Un : à Anvers et Bruxelles, Poppy Car Sharing propose 250 véhicules qui roulent au bio-CNG, donc quasiment zéro carbone. L’entreprise a signé un accord avec un exploitant de stations. Deux : Keolis a acquis une série de bus CNG qui se ravitaillent dans des stations bio-CNG. Ils sont notamment utilisés à Bruxelles pour le transport scolaire. Trois : Sibelga migre actuellement sa flotte vers le bio-CNG – déjà 90 véhicules – ainsi que vers l’électrique. »
Laurent Loncke : « Au niveau de l’offre de véhicules électriques, je suis relativement rassuré : les constructeurs y travaillent. Les prix ont déjà diminué et l’offre ne fera qu’augmenter. Chez nous, les véhicules 100 % électriques représentaient quelque 2 % des commandes passées jusqu’en juin dernier mais on est déjà passé à 6 % en septembre. Si on englobe le CNG, les hybrides très proches du zéro émission, on est même passé de 8 à 17 % de juin à septembre. Et l’on voit aussi que les mentalités évoluent : avant, les gens se demandaient s’ils allaient choisir en option un intérieur cuir ou une attache remorque ; maintenant, ils se demandent s’ils vont prendre une borne de recharge dans leur garage. Mais il est vrai que la Belgique accuse un retard à rattraper : nous ne disposons que de quelque 10 000 bornes de recharge, contre environ 50 000 aux Pays-Bas par exemple. Les 11 000 bornes prévues à Bruxelles dans les années à venir feront déjà du bien ! »
Guy-Louis de le Vingne : « Si elle contribue à résoudre le problème écologique, la voiture électrique prend néanmoins la même place qu’une autre voiture sur la route. Elle ne résoudra donc pas les problèmes de congestion, sans compter la difficulté déjà soulignée de trouver des bornes de rechargement à l’heure actuelle. C’est donc un pas dans la bonne direction mais il faut aussi inciter la mobilité multimodale. »
La mobilité de l’après-crise sera en partie gérée par les nouvelles solutions technologiques, y compris pour les particuliers.
Xavier De Buck Directeur B2B chez Touring
Philippe Matthis : « Les bornes de recharge électrique concernent aussi les bateaux. Eux aussi doivent s’adapter ! Nous avons deux bornes au Port de Bruxelles. À l’heure actuelle, aucun des quais n’est encore relié à une borne électrique mais nos futurs quais le seront tous. Cela étant, la durabilité est l’une de nos priorités. Nous disposons d’ailleurs d’un expert climat pour aider les entreprises à devenir plus durables. Il calcule leur bilan carbone ; c’est gratuit… si les entreprises s’engagent à réduire leurs émissions ! Par ailleurs, nous voulons aussi montrer l’exemple en étant certifié chaque année zéro émission carbone pour les bâtiments dans lequel notre personnel travaille. »
Xavier De Buck : « Il ne faut surtout pas imposer de solutions brutales et uniques à toutes les sociétés ! Il faut tenir compte de leur santé économique et de leur mode de fonctionnement. Pour certaines entreprises, la voiture électrique n’est pas une solution à court terme, principalement en raison de son prix encore trop important ou de son autonomie encore trop courte. J’ai toutefois confiance dans le fait que les jeunes générations, qui ont une mentalité différente, n’iront plus systématiquement vers le véhicule de société mais plutôt vers des solutions multimodales. De plus, si l’on prévoit des avantages fiscaux ou autres pour les entreprises, celles-ci seront d’autant plus motivées. »
Comment voyez-vous l’évolution de la mobilité dans les années à venir ?
Guy-Louis de le Vingne : « La durabilité est très demandée par les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. En janvier dernier, sur 20 personnes engagées par l’un de nos clients, 16 ont demandé de bénéficier du ‘budget mobilité’. Cela représente donc 80 % ! Cela démontre que lorsque des solutions existent, il y a une réelle volonté de changement. À cet égard, les communes et les administrations doivent montrer l’exemple. Si elles passent à l’électrique et à des flottes de voitures ou de vélos partagés, cela va verduriser la façon dont leur personnel se déplace. Mais cela pourrait également aller encore plus loin, en mettant leurs moyens de transport à la disposition des citoyens le soir et le week-end, plutôt que les laisser sur un parking. On a ici une nouvelle offre de mobilité pour un investissement quasi nul ! »
Laurent Loncke : « Nous vivons hélas une crise sanitaire et économique dramatique. Toutefois, elle constitue une opportunité de transformer la mobilité pour la rendre durable, sans jamais perdre de vue qu’elle doit rester abordable, que ce soit pour les particuliers ou les entreprises. Il ne faut jamais oublier non plus que les habitudes sont difficiles à changer et qu’il vaut mieux miser sur la pédagogie que sur la contrainte. »
Xavier De Buck : « Gardons à l’esprit que nombre d’entreprises actuellement en grande difficulté le resteront dans les mois voire les années à venir. Évitons dès lors de leur imposer des règles trop contraignantes. Actuellement, plusieurs modèles de mobilité convergent et l’on voit bien, tant du côté des sociétés que des particuliers, que la motivation est grande à faire évoluer les choses. »
Philippe Matthis : « En matière de mobilité, il faut sans cesse innover ! J’ai récemment chargé mon service juridique d’étudier comment utiliser, dans les années à venir, le couloir aérien situé au-dessus du canal. Il traverse la région de part en part sur 14 kilomètres. Un jour, j’en suis convaincu, le transport par drones se fera au-dessus de cette voie d’eau. Mais cela demande encore de répondre à une série de questions relatives à la gestion de cet espace : le Port de Bruxelles en est-il le propriétaire ? Si oui, jusqu’à quel niveau ? etc. »
Mathieu De Lophem : « En termes de mobilité, nous serons dans un mode de transition dans les deux années à venir. Pour réussir cette transition, il faut partir des besoins de l’individu. Premièrement, il faut offrir des solutions plus rapides. Deuxièmement, il faut être attentif à la composante ‘coût’ : la voiture constitue souvent un pot de dépenses mal alloué. En termes d’allocation des ressources, il serait bien plus intelligent de se diriger vers une combinaison de solutions. Le troisième élément – le principal à mes yeux mais malheureusement souvent oublié – est le confort et la confiance que l’on doit apporter à l’utilisateur pour qu’il ose utiliser une combinaison de mobilité. Il faut des solutions souples et simples car, c’est un fait, le Belge a pour l’instant encore une clé de voiture dans le ventre ! »
Didier Hendrickx : « Pour avoir un changement structurel, il faut que les gens aient conscience de ce qu’ils ont à y gagner. Pour un employeur, il faut des solutions rapides, simples et intégrées. Pour le citoyen ou l’employé, il faut des solutions flexibles. Chacun ayant une vie différente et des déplacements différents, le sur-mesure est nécessaire. Avec le temps, une communication pertinente permettra des changements qui feront tache d’huile. Ce qui fonctionnera à un endroit et à un moment donnés en termes de durabilité et de multimodalité se propagera ensuite un peu partout. »
Elke Van Den Brandt : « La mobilité est souvent perçue comme un problème, sous le prisme des embouteillages, du temps perdu, de la pollution, etc. En réalité, elle est une source de solutions : améliorer notre santé, augmenter notre qualité de vie, gagner du temps, créer plus d’espace en ville pour se balader, flâner, se rencontrer, jouer… Si l’on change nos mentalités et nos modes de déplacements, Bruxelles pourra déployer tout son potentiel. »